Jean
Hyppolite, philosophe français, est né à Jonzac en
1907. En 1925 il entre à l'Ecole Normale Supérieure où
il rencontre Sartre, Merleau-Ponty, Canguilhem, qui deviendront ses amis
et avec qui le débat va se poursuivre tout au long de sa vie. Entre
1939 et 1941 il traduit la Phénoménologie de l'Esprit de
Hegel qui n'aura de diffusion importante qu'après la guerre. En
1946 il publie Genèse et Structure de la Phénoménologie
de l'Esprit. Cet ensemble a été qualifié par J. D'Hondt
(2) de "Retour à Hegel d'Hyppolite" et il signale l'importance de
l'impact dans les milieux intellectuels français de cette traduction
et de son commentaire. Entre 1953 et 1956 il assiste aux séminaires
de J. Lacan. Jean Hyppolite est nommé directeur de l'Ecole
Normale Supérieure en 1954. Louis Althusser (1), évoque de
lui le fait qu'il cherchait sans cesse les contacts avec les milieux scientifiques,
comme témoigne son amitié avec le physicien Yves Rocard.
C'est dans le séminaire de cette année, qui sera connu après
comme le Séminaire I, Les Ecrits Techniques de Freud, qu'il fait
son intervention célèbre sur la Dénégation.
D'après François Dosse (3),
"sa
lecture vise à intégrer le freudisme comme étape constituante
du logos, de l'Esprit tel que Hegel le voit à l'œuvre dans l'histoire;
il voulait en somme montrer comment on pourrait inclure l'œuvre de Freud
dans une phénoménologie de l'esprit contemporain. Il construisait
ingénieusement une nouvelle figure de l'esprit, celle de la conscience
dénégatrice".
En
1960 participe au colloque organisé par Henri Ey à Bonneval
sur l'Inconscient. En 1961 il est membre du jury de la soutenance de la
thèse sur la folie de son élève Michel Foucault. En
1975, Michel Foucault envoie à la femme d'Hyppolite un exemplaire
de Surveiller et Punir avec pour dédicace: "A Madame Hyppolite,
en souvenir de celui à qui je dois tout." En 1963 il entre au
Collège de France et il abandonne l'Ecole Normale Supérieure
où il est remplacé par Flacelière. J. Hyppolite meurt
à Paris en 1968 alors qu'il est en train d'organiser le Congrès
Hegel de Paris qui eut lieu sans lui.
Le
Contexte de l'intervention d'Hyppolite : l'interprétation dialectique
de Freud.
Le
commentaire du texte de Freud Die Verneinung, se fait à la
demande, insistante dit Hyppolite, de Jacques Lacan, alors qu'il assiste
régulièrement au séminaire. Elle a lieu le 10 Février
1954. Il est publié en appendice dans les Ecrits de Lacan (pp.879-887).
C'est à lui que nous nous référerons à chaque
fois dans notre travail.
Après
avoir signalé que la structure du texte de Freud est énigmatique,
Hyppolite révèle par une dénégation, comment
il va interpréter la façon dont Freud construit son texte:
"C'est une construction du texte que je ne veux pas dire dialectique,
pour ne pas en abuser du mot ..." C'est donc, principalement à
l'aide d'un certain nombre de catégories de la dialectique hégélienne,
présentes pour la plupart dans l'œuvre de Lacan à cette date,
qu'Hyppolite interprète le texte de Die Verneinung.
Les
axes de Die Verneinung.
Hyppolite
résume quels sont pour lui les axes principaux du texte de Freud:
d'une part l'analyse de cette attitude concrète, qu'est l'acte
même de la dénégation (ici le mot concret doit être
pris dans le sens que lui donnait Politzer); d'autre part, la possibilité
de voir l'intellectuel se dissocier [en acte] de l'affectif (une
attitude de négation, symbolique); enfin et confondu avec le précédent
l'origine
du jugement et de la pensée elle-même, car, comme Hyppolite
le précise bien, la seule façon de rendre le texte compréhensible
est de distinguer la négation interne au jugement et l'attitude
de négation. Avec l'aide des catégories dialectiques,
il va distinguer entre une négation proche d'un instinct de destruction,
une négation symbolique et une négation de la négation"
Il
est à noter, d'autre part, que tout au long de son intervention
Hyppolite manie les termes d'intellectuel, intelligence,
jugement
et pensée comme relativement équivalents et comme
opposés à un affectif primordial, dont nous verrons
plus tard comment il faut l'entendre.
1.
L'ANALYSE DE L'ATTITUDE CONCRETE.
Présenter
ce qu'on est sur le mode de ne l'être pas.
Hyppolite
commente les exemples concrets cités dans le texte de Freud, la
dénégation par projection (vous allez sans doute penser
que ...), la dénégation proprement dite (je ne veux
certainement pas vous offenser ...), et le procédé par
lequel on demande à la personne ce qui est le plus invraisemblable
pour lui dans une situation donnée et c'est cela précisément
qu'il faut prendre pour la vérité.
D'après
Hyppolite, Freud procède, à partir de l'attitude concrète
de la dénégation, à une généralisation
où il va poser le problème de la dénégation
en tant qu'elle pourrait être l'origine même de l'intelligence.
C'est là qu'il situe la "densité philosophique du texte":
"une
analyse de procédés concrets, généralisée
jusqu'à rencontrer son fondement dans un mode de présenter
ce qu'on est sur le mode de ne l'être pas".
L'Aufhebung.
Dans
son texte, remarque Hyppolite, Freud s'introduit à la question de
la dénégation utilisant le terme Aufhebung, qui est
le mot dialectique de Hegel qui veut dire à la fois nier, supprimer
et conserver, et foncièrement soulever: "La dénégation
est une Aufhebung du refoulement, mais non pour autant une acceptation
du refoulé."
Dans
la Science de la logique, Hegel (7) explique ce concept:
""Dépasser"
et "le dépassé" (l'idéel) est un des plus importants
concepts de la philosophie, une détermination fondamentale qui revient
absolument partout, dont il faut saisir le sens avec précision,
et qu'il faut en particulier distinguer du néant. Ce qui se dépasse
ne devient pas pour cela le néant. Le néant est immédiat;
un terme dépassé par contre est médié (vermittelt),
il est un non étant, mais en tant que résultat qui est né
d'un être; il a donc encore en lui la détermination dont il
provient.
"Aufheben"
a dans la langue deux sens. Ce mot signifie "garder", "conserver", et en
même temps "faire cesser", "mettre fin à..." Le conservé
contient en lui déjà cet élément négatif
qui consiste en ce que quelque chose est enlevé à son existence
immédiate et par là aux influences de l'existence extérieure.
Ainsi donc le terme dépassé est en même temps quelque
chose de conservée qui a seulement perdu son existence immédiate,
mais n'est pas pour cela détruit. Les deux définitions données
de l' "Aufheben" peuvent être étymologiquement présentées
comme deux significations du mot. Il est remarquable qu'une langue en soit
venue à employer un seul et même mot pour deux significations
contraires. [...] Quelque chose ne se dépasse que dans la mesure
où cette chose est entrée en unité avec son opposé."
Dans
ces quelques mots, Hegel introduit quelques concepts qui seront de grande
utilité pour la compréhension de l'intervention d'Hyppolite:
le néant, le négatif, la médiation
et l'opposition de contraires dans l'unité. Destruction,
négation véritable, négation symbolique, négation
idéale, son certains des concepts qu'il va extraire du texte de
Freud.
"Présenter
son être sur le mode de ne l'être pas", poursuit Hyppolite,
c'est vraiment de cela qu'il s'agit dans cette Aufhebung du refoulement
qui n'est pas une acceptation du refoulé. Le refoulement subsiste
quant à l'essentiel. Et il énonce les temps de l'acte concret:
dans un premier temps: "voilà ce que je ne suis pas", le refoulement
subsiste sous la forme de la dénégation. Dans le temps de
la fin, le psychanalyste m'oblige à accepter ce que je niais tout
à l'heure, et pourtant le refoulement subsiste: c'est la négation
de la négation.
2.
LA DISSOCIATION DE L'INTELLECTUEL ET DE L'AFFECTIF.
L'intellectuel
et l'affectif.
Ici
Freud nous conduit, dit Hyppolite, dans un procès qu'il qualifie
d'extrême subtilité philosophique où il ne faut pas
laisser passer dans "l'irréflexion de son usage courant" cette remarque
de Freud que c'est 'ici: "l'intellectuel se sépare de l'affectif
"[note 1]. Nous verrons comment cela veut dire en d'autre
termes qu'il s'agit de substituer la négativité véritable
à l'instinct de destruction.
Plutôt
que de nous montrer comment l'intellectuel se sépare de l'affectif,
Freud nous montre comment ce qu'il nomme l'intellectuel est une sorte de
suspension
du contenu auquel ne disconviendrait pas le terme de
sublimation[note
2]. C'est ici que naît ici la pensée comme telle, mais
ce n'est pas avant que le contenu ait été affecté
d'une dénégation : ce n'est pas ça!
L'affectif
primordial.
Le
rôle que Freud fait jouer à cet affectif primordial,
en tant qu'il va engendrer l'intelligence, il faut l'entendre comme une
forme
primaire de relation que psychologiquement nous appelons affective.
Elle-même est située dans le champ distinctif de la situation
humaine, et que si elle engendre l'intelligence, c'est qu'elle comporte
déjà à son départ une historicité
fondamentale:
"il
n'y a pas l'affectif pur d'un côté, tout engagé dans
le réel, et l'intellectuel pur de l'autre, qui s'en dégagerait
pour le ressaisir", dit Hyppolite.
Il
s'en remet à l'interprétation que donne Lacan à cet
affectif primordial en tant qu'historicité. A plusieurs endroits
Lacan donne des points de repère pour comprendre l'historicité
de cette forme primaire de relation:
"Les
événements s'engendrent dans une historisation primaire,
autrement dit l'histoire se fait déjà sur la scène
où on la jouera une fois écrite, au for interne comme au
for externe. [...] Ce que nous apprenons au sujet à reconnaître
comme son inconscient, c'est son histoire, - c'est-à-dire que nous
l'aidons à parfaire l'historisation actuelle des faits qui ont déterminé
déjà dans son existence un certain nombre de "tournants"
historiques. Mais s'ils ont eu ce rôle, c'est déjà
en tant que faits d'histoire, c'est-à-dire en tant que reconnus
dans un certain sens ou censurés dans un certain ordre" (9).
"L'histoire n'est pas le passé. L'histoire est le passé
pour autant qu'il est historisé dans le présent - historisé
dans le présent parce qu'il a été vécu dans
le passé" (10). Et Lacan rajoute, "Le centre de gravité
du sujet est cette synthèse présente du passé qu'on
appelle l'histoire" (11).

Ainsi
il reviendra après l'exposé d'Hyppolite sur l’ambiguïté
entretenue autour de la fameuse opposition de l'intellectuel et de l'affectif,
marquant son opposition aux idées qui font de l'affect une sorte
de coloration, de qualité ineffable qui devrait être cherchée
en soi-même :
"L'affectif
n'est pas comme une densité spéciale qui manquerait à
l'élaboration intellectuelle. Il ne se situe pas dans un au-délà
mythique de la production du symbole qui serait antérieur à
la forme discursive" (12). Et il précise que ce que Freud désigne
ici par l'affectif "n'a donc [...] rien à faire avec l'usage que
font de ce terme les tenants de la nouvelle psychanalyse, en s'en servant
comme d'une qualitas occulta psychologique […] L'affectif dans ce
texte de Freud est conçu comme ce qui d'une symbolisation primordiale
conserve ses effets jusque dans la structuration discursive" (13).
Nous
voyons bien comment il faut comprendre cette dialectique en excluant toute
interprétation en termes de psychologie des facultés.
3.
L'ORIGINE DU JUGEMENT ET DE LA PENSEE.
Poursuivons
l'analyse du texte d'Hyppolite:
La
genèse freudienne n'est pas de la psychologie, mais elle est un
mythe.
Ces
quelques remarques, permettent de souligner le versant mythique, logique
dirons nous, de cette genèse. A partir des développements
exposés dans Pulsions et destins des pulsions, Freud reprend
la dialectique des pulsions les plus anciennes, c'est-à-dire orales,
pour y situer la genèse de la fonction de jugement. Mais Hyppolite
refuse le caractère de psychologie positive de cette genèse:
"Elle me paraît plus profonde en sa portée comme étant
de l'ordre de l'histoire et du mythe".

Dialectique
de l'instinct de l'unification et de la destruction.
C'est
donc dans la dialectique de deux contraires qu'il faut saisir cette genèse.
En 1915, de son propre aveu, Freud n'arrive pas à concevoir la négation
du couple formel des tendances globales de l'être:
"On
préférerait voir dans l'amour l'expression de la tendance
sexuelle totale, mais on n'est pas pour autant tiré d'embarras et
l'on ne sait comment concevoir un contraire matériel à cette
tendance" (5)
Dix
ans après, dans le texte que commente Hyppolite, il remarque:
"Deux
instincts qui sont pour ainsi dire entremêlés dans ce mythe
que porte le sujet: l'un celui de l'unification, l'autre celui de la destruction".
Il
s'agit d'un grand mythe qui répète d'autres, dit Hyppolite,
songeant peut être à Empédocle. On a en quelque
sorte le couple formel de deux forces premières: la force d'attraction
et la force d'expulsion, toutes deux sous la domination du principe du
plaisir.
L'aliénation.
La
portée de la formation de ce mythe est celle de l'aliénation
qui se fonde en ces deux termes. Ce qui se traduit dans leur opposition
formelle devient au-delà "aliénation et hostilité
entre les deux". L'aliénation, selon le commentaire que Lucien Sève
fait de la notion d'Hegel (15), c'est le procès dialectique universel
par lequel, suivant son propre développement nécessaire,
la chose s'objective dans une autre où elle semble devenue étrangère
à elle-même, bien que cette autre ne soit que l'autre d'elle-même
- le procès par lequel elle passe en son contraire qui la nie tout
en la développant. Mais le mouvement dialectique ne s'arrête
pas là, il dépasse chaque moment particulier. Le contraire
passe lui-même à son contraire, retrouvant le point de départ
mais sur un plan supérieur, par une négation de la négation.
Jugement
d'attribution et Jugement d'existence. Dialectique de l'introjection et
de l'expulsion. Genèse de l'extérieur et de l'intérieur
Poursuivons
la lecture d'Hyppolite:
"Le
jugement a donc dans la dialectique des pulsions orales, sa première
histoire. Freud y distingue deux types: jugement d'attribution et jugement
d'existence".
Ferrater
Mora (4) considère le jugement du point de vue logique et du point
de vue de ses implications métaphysiques: le premier, qui correspond
au jugement d'attribution, est l'affirmation ou la négation de quelque
chose (un prédicat) par rapport à un sujet. Selon la conception
traditionnelle, dans le jugement nous proposons, affirmons ou admettons
l'existence de quelque chose, en conséquence le jugement est proprement
jugement d'existence. Derrière le jugement d'attribution il y a
le "je veux m’approprier, introjecter" (l'affirmation) ou le "je veux expulser"
(la négation). Il y a, au début, dans le "il était
une fois" mythique, un sujet pour lequel il n'y avait encore rien
d'étranger. La distinction de l'étranger et de lui-même,
c'est une opération d'expulsion car "ce qui est mauvais,
ce qui est étranger au moi, lui est d'abord identique".
Le
procès qu'y mène, "qu'on a traduit par rejet, est accentué
par l'utilisation du terme Austossung", qui signifie expulsion.
Il y a une opération qui est l'opération d'expulsion et sans
laquelle,
l'opération d'introjection n'aurait pas de sens. C'est
l'operation
primordiale où ce qui sera le jugement d'attribution se fonde.
Et Hyppolite remarque que Freud montre ce qu'il y a derrière le
jugement d'attribution et celui d'existence: le jugement d'attribution
se fonde dans la négation. Mais cette négation est
encore en deçà de la négation symbolique.
"Ce
qui est à l'origine du jugement d'existence, c'est le rapport entre
la représentation [qui serait l'objet interne, perdu] et la perception
[objet externe]. Ce qui est important, c'est qu' "au début" il est
égal et neutre de savoir s'il y a ou s'il n'y a pas: Il y a. Le
sujet reproduit sa représentation des choses de la perception primitive
qu'il en a eu. Quand maintenant il dit que cela existe (l'existence réelle
d'une chose représentée), la question est de savoir non pas
si cette représentation conserve encore son état dans la
réalité, mais s'il pourra ou ne pourra pas la retrouver (dans
la perception réelle). Le jugement d'existence c'est retrouver à
nouveau son objet".
Mais
pour la psychanalyse cet objet n'est jamais retrouvé. Et la répétition,
dit Hyppolite, prouve que Freud se meut dans une dimension bien distincte
de celle où Jung se situe [note 3].
Ce
dont il s'agissait dans le jugement d'attribution c'est d'expulser ou introjecter.
Dans le jugement d'existence, il s'agit d'attribuer au moi, ou plutôt
au sujet une représentation à laquelle ne correspond plus,
mais a correspondu dans un retour en arrière, son objet. Ce qui
est en cause ici, c'est la genèse de l'extérieur et de l'intérieur
[note
4].
Dialectique
entre l'affirmation et la négation.
Hyppolite
souligne une dissymétrie exprimée par deux mots différents
dans le texte de Freud, entre le passage a la affirmation à partir
de la tendance unifiante de l'amour, et la genèse, a partir de la
tendance destructrice, de cette dénégation qui a la fonction
véritable d'engendrer "l'intelligence et la position même
de la pensée".
Derrière
l'affirmation (Bejahung), il y a la Vereinigung (unification),
Eros. Et derrière la dénégation il y a l'apparition
d'un symbole fondamental dissymétrique. "L'affirmation
primordiale, ce n'est rien d'autre qu'affirmer; mais nier c'est beaucoup
plus que vouloir détruire". Pour la négation, Freud n’emploie
pas le mot d'Ersatz, mais le mot Nachfolge: "L'affirmation
est l'Ersatz de la Vereinigung, et la négation le Nachfolge[note
5] de l'instinct de destruction (expulsion)."

3.
NEGATIVITE ET DESTRUCTION
Dissymétrie
entre négativité véritable et destruction. Dialectique
de la Conscience de Soi.
Ainsi,
cette dissymétrie aura une importance fondamentale. Hyppolite appelle
à la rescousse Hegel, pour rappeller qu'il s'agit de substituer
la
negativité veritable [note 6] à
cet appétit de destruction qui s'empare du désir et
qui est tel qu'à l'extrême issue de la lutte primordiale où
les deux combattants s'affrontent. Si la lutte se poursuit à mort,
il n'y aura plus personne pour constater la victoire ou la défaite
de l'un ou de l'autre. Il n'y aura pas une négation idéale.
Cette
lutte primordiale, qualifiée aussi de "meurtre hégélien"
par Lacan, est le thème de la dialectique de la conscience. Dans
la Propédeutique Philosophique Hegel (7) décrit les étapes
de la conscience:
"En
général, la conscience est la connaissance d'un objet externe
ou interne, qu'il se présente sans l'aide de l'esprit ou qu'il soit
produit par lui. [...] La conscience est le rapport défini du Moi
et d'un objet. [...] Suivant la diversité de son objet, la conscience
a trois phases. Notamment, l'objet est ou bien l'objet en opposition avec
le Moi, ou bien il est le Moi lui-même, ou bien il est quelque chose
d'objectif qui appartient également au Moi: La Pensée. Ces
déterminations [...] sont des moments de la conscience elle-même:
1) Conscience tout court. 2) Conscience de soi. 3) Raison".
Dans
la Phénoménologie de l'Esprit (8) il dit:
"La
conscience de soi est tout d'abord simple existence pour soi; elle est
identique avec elle-même par l'exclusion de tout Autre. Elle considère
le Moi comme son essence et son objet absolu; dans cette immédiateté,
dans ce simple état d'exister pour soi, elle est individuelle. Ce
qui est autre vis-à-vis d'elle apparaît comme objet inessentiel
avec un caractère de négativité. Mais cet Autre est
également une conscience de soi; un individu apparaît en opposition
avec un autre individu. [...] Dans la mesure où c'est l'Autre qui
agit, chaque conscience poursuit la mort de l'autre. [...] Le rapport des
deux consciences de soi est donc déterminé ainsi: elles s'éprouvent
elles-mêmes et l'une et autre par une lutte à mort".
Ainsi
la dialectique de la conscience de Hegel est mise en parallèle avec
tout le développement freudien.
Négation
idéale et négativisme psychotique. Instinct de destruction
et forme de destruction.
La
dénégation dont parle Freud ici, pour autant qu'elle est
différente de la négation idéale où
se constitue ce qui est intellectuel, nous montre justement cette sorte
de genèse dont Freud, au moment de conclure, désigne
le vestige dans le négativisme qui caractérise certains psychotiques.
Il faut absolument séparer l'instinct de destruction de la
forme de destruction (la négation symbolique), car on ne comprendrait
pas ce que veut dire Freud :
"Il
faut voir dans la dénégation une attitude concrète
à l'origine du symbole explicite de la négation, lequel symbole
explicite rend seul possible quelque chose qui soit comme l'utilisation
de l'inconscient, tout en maintenant le refoulement".
Création
du symbole de la négation. Négation de la négation.
Seulement,
dit Freud, "l'accomplissement de la fonction du jugement n'est rendu possible
que par la création du symbole de la négation". C'est que
la négation va jouer un rôle non pas comme tendance a la destruction,
non plus qu'à l'intérieur d'une forme de jugement, mais en
tant qu'attitude fondamentale de symbolicité explicitée.
"La
création du symbole de la négation qui a permis un premier
degré d'indépendance à l'endroit du refoulement et
de ses suites et par là aussi de la contrainte (Zwang) du principe
du plaisir."
Qu'est-ce
que signifie dès lors cette dissymétrie entre l'affirmation
et la négation? Elle signifie que tout le refoulé peut à
nouveau être repris et réutilisé dans une espèce
de suspension, et qu'en quelque sorte au lieu d'être sous la domination
des instincts d'attraction et d'expulsion, il peut se produire une marge
de la pensée, une apparition de l'être sous la forme de
ne l'être pas, qui se produit avec la dénégation,
c'est à dire où le symbole de la négation est rattaché
à l'attitude concrète de la dénégation. Tel
apparaît à Hyppolite le sens de la phrase de conclusion: "...
et que la reconnaissance de l'inconscient du côté du moi s'exprime
dans une formule négative" [note 7] .
CONCLUSION
Lacan
avait suivi les cours de Alexander Kojève sur le Phénoménologie
de l'Esprit dans les années 30. Très vite cette nouvelle
référence déplace dans sa pensée celle du Jaspers
de la Thèse. La trace est visible dans son long article sur Les
complexes familiaux, de 1938. Vingt ans après, nous comprenons
qu'il ait recours à un des plus prestigieux hégélien
français pour lui demander de commenter ce texte de Freud [note
8] où rien de moins que le mot philosophique de Hegel apparaît
dans sa plume : aufhebung. Il est aisé de voir comment ces
passages s'articulent avec le stade du miroir de Lacan, nœud originaire
de la subjectivité, du sujet, de l'inconscient, de la folie destructrice
ou de l'agressivité sublimée, et même de l'imaginaire
et le symbolique. La lecture hégélienne du texte de Freud
marquera profondément la pensée psychanalytique lacanienne.
Son renouveau en termes politiques par Slavoj Zizek (16) nous montre que
le enseignements de ce texte sont bien loin d'être épuisés...
BIBLIOGRAPHIE
1)
Althusser (L.), L'Avenir dure longtemps, suivi de Les Faits, Stock, 1992.
2)
Dictionnaire des Philosophes, dirigé par Denis Huisman, P.U.F.,
1984.
3)
Dosse (F.), Histoire du Structuralisme, Livre de Poche, Biblio Essais,
Tome I, pp. 120-121.
4)
Ferrater Mora (F.), Diccionario de Filosofía Abreviado, Editorial
Sudamericana, Buenos Aires, 1983.
5)
Freud (S.), Pulsions et destins des pulsions, in Métapsychologie,
Folio Essais, Gallimard, 1986, p. 34.
6)
Hegel (W.), Morceaux choisis, Folio Essais, Gallimard, 1995, pp. 211-212.
7)
Hegel (W.), Morceaux choisis, Folio Essais, Gallimard, 1995, pp. 327-338.
8)
Hegel (W.), Morceaux choisis, Folio Essais, Gallimard, 1995, pp. 339-348.
9)
Lacan (J.), Fonction et Champ de la parole et du langage en psychanalyse,
in Ecrits, Seuil, 1966, p. 261.
10)
Lacan (J.), Séminaire I, Les Ecrits Techniques de Freud, Seuil,
1975, p. 19.
11)
Lacan (J.), Séminaire I, Les Ecrits Techniques de Freud, Seuil,
1975, p. 46.
12)
Lacan (J.), Séminaire I, Les Ecrits Techniques de Freud, Seuil,
1975, p. 69.
13)
Lacan (J.), Réponse au commentaire de Jean Hyppolite sur la" verneinung"
de Freud, in Ecrits, Seuil, 1966, p. 383.
14)
Russ ( J.), Philosophie, Les chemins de la pensée, Armand Colin,
1988, pp. 45-46.
15)
Sève (L.), Une introduction à la philosophie marxiste, Editions
Sociales, 1980, p. 101.
16)
Zizek (S.), Tarrying with the negative. Kant, Hegel, and the critique of
Ideology, Duke, 1993.
BIBLIOGRAPHIE
SOMMAIRE D'HYPPOLITE.
1)
Traductions de la Phénoménologie de l'Esprit de Hegel 1939-41,
et de la Préface de La Phénoménologie, 1966.
2)
Genèse et Structure de La Phénoménologie de l'Esprit,
1946.
3)
Introduction à la Philosophie de l’histoire de Hegel, 1948.
4)
Logique et existence, essai sur la logique de Hegel, 1953.
5)
Etudes sur Marx et sur Hegel, 1955.
6)
Sens et Existence dans la philosophie de Maurice Merleau-Ponty, 1963.
7)
Leçon inaugurale au Collège de France, 1964. Hegel et la
Pensée moderne (Séminaire de J. Hyppolite), 1970.
8)
Figures de la pensée philosophique (la plupart des articles de J.
Hyppolite, réunis et publiés par Dyna Dreyfus), 1971.
NOTES
1.
Une présence immédiate marquée d’un signe négatif
(-).
2.
Lacan ajoute en bas de page qu'il entend donner à ce terme sa stricte
définition pour l'analyse, promesse tenue depuis le séminaire
sur l'Ethique.
3.
Et Lacan de s'interroger en bas de page: "L'auteur veut-il indiquer ici
la réminiscence platonicienne?". Platon (14) dit dans le Phèdre,
"Une intelligence d'homme doit s'exercer selon ce que l'on appelle l'Idée,
en allant d'une multiplicité de sensations vers une unité,
dont l'assemblage est acte de réflexion. Or cet acte consiste en
un ressouvenir des objets que, jadis, notre âme a vus, lorsqu'elle
s’associait à la promenade d'un dieu, lorsqu'elle regardait de haut
tout ce à quoi, dans notre existence, nous attribuons la réalité,
et qu'elle levait la tête vers ce qui est réellement réel.
[...] C'est en usant droitement de pareils moyens de souvenance qu'un homme
dont l'initiation à des parfaits mystères est toujours parfaite
est seul à devenir réellement parfait".
4.
Attribuer à l’autre un être.
5.
Ce qui suit...
6.
Traverse tous les “ ce n’est pas ça ” pour retrouver ce qu’on a
perdu à l’origine.
7.
On ne peut pas dire “ c’est ça ” (mon Inconscient).
8.
Pour qui celle de Hegel était une "obscure philosophie"...
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