Aby Warburg, la fuite, la pause
Eduardo Mahieu
Séminaire du 29 novembre 2007


 
 
 

Le 27 avril 1921, Ludwig Binswanger écrit dans son observation : "Hier, a encore violemment agressé l’infirmière [...]. A sauté sur elle du haut d’une chaise, lui a serré le cou et fermé la bouche, de sorte qu’elle ne pouvait crier. Elle aurait pu mourir si quelqu’un ne s’était pas interposé, car le patient a une force colossale" [6, p. 77]. Ces lignes tracent un portrait concis d’Aby Warburg, un perspicace historien de l’art et la culture qui, malgré ce geste, gagne à être connu. Ce qu’il faut comprendre c’est que dans l’excitation de la catastrophe subjective qu’il traverse à la clinique de L. Binswanger il cherche à détruire la nymphe (1), une pièce maîtresse de sa science sans nom [1]. La "Nymphe porteuse de fruits, la Fortune, [...] les femmes qui étaignent le feu dans l’incendie de Borgo...", ce sont métamorphosées en "Judith, Salomé, la ménade" : la donna cacciatrice di testa [13]. Et pourtant, après plus de six ans de tumulte subjectif ayant attiré autour de lui L. Binswanger, Sigmund Freud, Emil Kraepelin, Hans Prinzhorn, Ernst Cassirer et Walter Benjamin, il reprend ses esprits et conçoit deux outils de recherche qui fascinent la République de Weimar. L’histoire de sa recherche est l’histoire de sa maladie, et son aboutissement est aussi l’achèvement de son œuvre. En somme, l’histoire de comment A. Warburg a sauvé sa tête, après l’avoir perdue.

AMOUR DE L’IMAGINAIRE

L’arbre de A. Warburg

L’arbre généalogique de A. Warburg (Hambourg, 1866) est "fabriqué à partir de morceaux de bois provenant d’une plante transplantée de l’Orient dans la plaine nourricière de l’Allemagne du Nord, et sur laquelle on a greffé une branche venant d’Italie" [17]. Il provient d’une famille sépharade émigrée à Bologne au moyen âge, puis au Nord de l’Allemagne pour bâtir à Hambourg une des plus puissantes banques européennes. A l’âge de 13 ans A. Warburg rénonce à son droit d’aîné sur la banque familiale au profit de son frère Max, à condition que celui-ci lui achète désormais tous les livres dont il aura besoin pour se consacrer à l’étude de l’art. Sujet engagé dans son époque, il se trouve déchiré entre sa tradition hébraïque et l’assimilation intégrale dans une société qui vacille avant de sombrer. Il épouse une femme protestante, se rebelle contre son père lorsqu’il abandonne le rituel casher, mais nonobstant bénéficie d’un soutien affectif et financier illimité pour un projet tout en démesure : "nous devons démontrer par notre exemple que le capitalisme est aussi capable de réussites intellectuelles d’une magnitude telle qu’elles n’auraient pas pu être atteintes autrement" [7, p. 117]. C’est dans l’esprit de résoudre cette contradiction - qui lui fait déjà éprouver la sensation très nette d’avoir une "tête de Janus"- qu’il s’intéresse à des sujets très vastes : les images, les mythes, l’histoire, la psychologie, la médecine, la théorie de l’évolution, etc. Deux noms polarisent sa pensée : l’historien de l’art Jackob Burckhardt et le philosophe Friedrich Nietzsche. Dans son contexte historique, être concerné par l’art comme l’entend A. Warburg, signifie assumer pleinement un combat avec implications historiques, culturelles, politiques, mais aussi avec des conséquences subjectives personnelles. L’Allemagne de fin du 19ème siècle subit la deuxième modernité comme une véritable sécousse techtonique bouleversant autant la vie quotidienne que la subjectivité collective [20]. 

Symptômes du détail

Dans la sculpture du Laocoon en lutte avec les serpents, A. Warburg trouve un pathos du langage des gestes qui deviennent ses leit-motivs : la ligne serpentine, le mouvement, la souffrance et la jouissance. La question qui le pousse est celle de dévoiler le sens authentique de la Renaissance de l’Antiquité, puisqu’il ne se satisfait pas des interprétations qui font autorité dans la question, comme celles de Johann Winckelman ou G.F. Hegel. Pour lui, autant l’Antiquité que la Renaissance semblent traversées par des contradictions intrinsèques entre les éléments appoliniens et dionysiaques. Plutôt qu’à la sérenité et beauté classiques, A. Warburg s’intéresse à la dialectique du style, à ce qui fait symptôme dans l’image, qu’il condense dans un de ses aphorismes les plus connus : "Le bon Dieu est dans les détails". Et le détail compte pour le tout : pour lui, l’art n’est pas une simple question de goût mais une question vitale, car il est "au centre remous de la civilisation" [8, p 143]. Son travail anticipe Walter Benjamin sur le terrain de l’analyse des différentes "valeurs" de l’œuvre d’art - valeurs esthétiques, cultuelles, d’exposition ou de réproduction -, impliquées par les usages sociaux des pratiques artistiques, ces mêmes valeurs qu’il voit danser frénétiquement avec la modernité technologique. Inspiré par les théories de "la polarité" véhiculées par le romanticisme allemand de son temps – Johann W. Goethe, mais aussi F. Nietzsche -, l’art lui paraît être le lieu d’un frémissement de la subjectivité créatrice entre un pôle d’angoisse constituante et la contemplation mathématique de la pensée. Dans ce processus de "pansement par le symbole", se créent des intervalles où prennent place les images des arts plastiques, mais aussi les fêtes, le théâtre, la musique et la danse, véhicules dionysiaques de la jouissance de la vie. Dans le sillage de F. Nietzsche [19], il y voit l’entreprise de libération à travers la création artistique de la condition tragique de l’existence, à l’échelle individuelle et collective. Un procès dont l’imaginaire est la substance et le travail historique de la culture l’opérateur. 

Très tôt, dans des notes écrites à Florence [13], il ordonne selon différents styles de jouissance le sens des notions d’antiquité, de paganisme, de survivance et de forme de vie, dans les styles artistiques. L’économie du style antique, identifié au païen, est marquée par la "recherche de la satisfaction terrestre, jouissance ou autodestruction". Au moyen âge, ce style est plutôt celui d’une "autodestruction au bénéfice d’une vie future personnelle", et celle des temps modernes une "restriction de la jouissance, autodestruction au bénéfice d’une vie future impersonnelle...". Ce qui l’intéresse dans la Renaissance est sa fonction de charnière avec la modernité, et une icône capture son attention en tant que résurgence d’une jouissance païenne à l’Antique : Ninfa, l’égérie de Dionysos.

Ninfa, causalité métonymique

Dans les formes ondulantes des femmes peintes par Sandro Boticelli, il bouscule l’interprétation de la Renaissance de l’Antiquité dans la culture. "La naissance de Vénus", "Le Printemps" et "La cause extérieure" [22], écrits à Florence vers 1893, inaugurent sa recherche. L’élément symptomatique dans les tableaux est une fuite métonymique dans l’image qu’il découvre dans les "accessoires en mouvement" - la chevelure agitée et le drappé flottant au vent -, qui contrastent avec la passivité du corps. Dans ce détail, qui suscite dans les tableaux de S. Boticelli une tension avec le corps statique de la déesse de l’amour, survivent les ménades maniaques, les "nymphes dansantes" dyonisiaques qu’il rencontre dans les froides pierres des sarcophages antiques. Son interprétation se fonde dans le traitement de ces éléments, en apparence secondaires, sélectionnés par l’artiste dans le style antiquisant italien. Cet élement symptômatique est signe d’un nouage entre une élément historique véhiculé par l’époque et un élément collectif véhiculé par le style. L’artiste y introduit un écart qui lui est singulier et qui reflète pour A. Warburg un choix éthique, la "volonté sélective d’une époque" [1]. Dans l’intervalle métonymique qu’introduit cette ouverture dans l’image, le tumulte de la vie devient art avec sa jouissance et ses excès. Chez A. Warburg, la notion nietzschéenne de paiën désigne cette survivance de jouissance extatique attribuée à Dyonisos, représentée par la danse de l’ancienne ménade maniaque qui devient un lieu central de sa recherche. Cette image dansante et féminine chargée de jouissance de la vie, court dans des lieux et temps anachroniques, des sarcophages romains aux panneaux publicitaires modernes, en passant par les sculptures religieuses de Bertoldo di Giovani [8]. Poussée par l’aura (le souffle), elle met en images un mouvement éphémère aux bordures du corps, qui s’exprime par un écart du drappé qu’impressione A. Warburg. D’un côté, l’etoffe se plaque contre le corps modelant sa nudité ; de l’autre il s’agite et se déploie "créant ses propres morphologies en volutes" [8, p. 258] accentuant l’aspect de voluptuosité sans bornes, extatique. L’icône de la mania bacchanale des anciens vient nommer l’articulation métonymique de la cause extérieure avec la cause intérieure qui est fondamentalement le désir, dont le mouvement du drappé dessine l’aspect illimité d’une jouissance extatique qui échappe au corps (2).

La pause dans l’image

Pour A. Warburg, Ninfa est l’exemplaire canonique de la vie en mouvement du corps, dont la ligne ondulante produit l’efficacité de l’imaginaire (3). Elle est sa version personnelle du noeud borroméen (4). Giorgio Agamben généralise cet aspect jusqu’en faire "l’image de l’image" [2]. Dans l’échange de lettres fictifs avec l’historien de l’art holandais André Jolles, A. Warburg déclare son amour d’une Ninfa qui se détâche dans une fresque religieuse de Ghirladaïo :

"Selon sa réalité corporelle, elle peut être une esclave tartare libérée [...] Mais selon sa véritable essence elle est un esprit élémentaire, une déesse païene en exil".
G. Agamben reconnaît l’influence de l’alchimiste Paracelse dans cet hybride de corps et d’esprit, qui à travers Dante, Boccace et la poésie du Dolce stil novo, devient l’image de l’amour. Aimer, est aimer une Ninfa, et l’amour est l’amour d’une imago, d’un objet irréel, un point limite entre l’individu singulier et l’intellect unique de la philosophie médiévale (dont les noms modernes sont la pensée ou le langage). L’imagination est l’opération d’union qui a lieu dans l’espace vide qui sépare les deux pôles, la sensation corporelle et la pensée. Elle est à la fois le lieu de fracture entre l’individuel et l’impersonel et le lieu de sa recomposition, le no mans land qui est au centre de l’humain [2]. La coloration ontologique du couple image/imagination est la même qui fait dire à J. Lacan qu’"on est dans l’imaginaire [...]. Dans l’Imaginaire on y est" [15, Leçon du 18 mars 1975]. G. Agamben veut voir l’indication décisive que l’histoire des rapports ambigus entre les hommes et les nymphes est l’histoire de la difficile relation de l’homme avec ses images, et il cherche à préciser l’efficacité imaginaire de Ninfa qu’a capturé A. Warburg. Du fantasmata d’Aristote (avec lequel le chorégraphe de la Renaissance Domenico di Piacenza dévoile à ses élèves l’âme de la danse), aux manifestations les plus modernes de Ninfa, ce qui condense la jouissance c’est une pause ; une "pause non immobile, mais chargée, à la fois, de mémoire et d’énergie dynamique" [2, p. 14]. Elle ouvre ainsi à l’articulation des travaux de A. Warburg avec la puissance de l’arrêt dont parle Walter Benjamin (5) : Ninfa est l’image de la dialectique de la jouissance à l’arrêt.

Survivance bipolaire

Cette première tentative de A. Warburg de fixer par son icône "la métonymie pure, infinie et ludique" [17, p. 388], le plonge dans une lourdeur d’esprit qui confine à la mélancolie dont il témoigne dans son journal, et que seuls tempèrent son voyage en Amérique, puis son mariage avec une belle femme peintre. Désormais, ses études explorent des aspects plus inquiétants de l’incessante fuite historique des images dans l’art. De retour à Hambourg, il se met à suivre la migration des images vers le Nord et constate que Ninfa se charge d’un tranchant mortel dans la gravure d’Albrecht Dürer, la Mort d’Orphée ; ou bien que de manière opposée, le même artiste produit dans Melencolia I un apaisement humaniste du sinistre Saturne qui devient symbole de sagesse. Renaissance et astrologie, lui fournissent alors les registres pour penser sa théorie de la polarité, ou de la bipolarité, des symboles, inspirée de F. Goethe. Son discours de Rome de 1913 sur les fresques de Ferrare où il identifie la vie posthume des décans astrologiques, lui vaut une grande reconaissance publique. Il traite d’un autre axe majeur de sa recherche : la survivance, le nachleben der Antik [1], c’est-à-dire la persistance de l’efficacité imaginaire dans le temps (6), transformant l’image en icône. L’efficace de cette énigmatique énergie dans les images est la signification en puissance, la signification de signification, transmise dans les symboles de façon non polarisée : "la rencontre d’une nouvelle époque et de ses besoins vitaux, peut causer un renversement complet de signification" [1, p. 114]. Un de ses fulgurants aphorismes ouvre à l’événement la polarité de ce qu’il nomme, dans le sillage de F. Nietzsche, l’exaltation païenne du dyonisiaque : "Chaque époque a la renaissance de l’Antiquité qu’elle mérite" [13]. Source d’inspiration pour les thèses de W. Benjamin sur la synchronie de l’histoire, il prophétise sans le savoir la sinistre récupération païenne des temps à venir.

PASSION DE L’IMAGINAIRE

La guerre privée de Warburg (1914-1918)

Aux temps de la décomposition et recomposition croissante de l’Allemagne, A. Warburg écrit sur Luther un essai doué d’une efficacité poétique remarquée par ses contemporains. Réforme, magie et astrologie [22], trace un portrait de Luther comme un être démonique(7) encore assujetti aux superstitions astrologiques, mais qui réussit un plaidoyer décisif sur le libre arbitre. Cependant, les démons qu’il croit libérer s’emparent de lui et il perd au sens propre et figuré la boussole et son libre arbitre. La guerre entre l’Italie et l’Allemagne - matières de son arbre -, qu’il perçoit comme gardiennes de la culture situées entre l’Orient irrationel et dynosiaque et l’ouragan du capitalisme anglosaxon vénal et barbare, déclenche une étude frénétique des lignes de tranchées du déchirement du monde. A. Warburg le "sysmographe", se dérégule et sa bibliothèque prend les allures de tour de guet dans laquelle il fabrique une carthotèque avec plus de 25.000 articles de journaux sur la guerre. Quelques passages dans des sanatoriums n’apaisent pas une hybris de pathos devenue pathologique. Il invente des slogans contre la guerre qu’il cherche à faire publier dans l’espoir de changer le cours des événements. Ses préocupations académiques, dévenues trop actuelles, se déversent dans une logorrhée sans pause ni limite qui le pousse à interpeller des inconnus dans la rue pour les prendre à partie dans le conflit [7]. En 1918, il craint que la gouvernante anglaise de ses enfants - dont il est amoureux -, soit "l’espionne en chef" de Lloyd George. Entre son travail académique qui réveille des vieux démons et ses amours avec l’enemi, A. Warburg acquiert la certitude qu’il est la cause de la guerre et armé d’un révolver il tente de tuer sa femme, ses enfants et de se donner la mort. 

Envoyé dans un établissement psychiatrique de Hambourg, le neurologue Heinrich Embden parle d’hallucinations auditives très vives et menaçantes. Maintenant, sa piété ne semble plus réculer comme lors de sa recherche dans les archives florentins pour son étude sur L’art du portrait : "les voix des défunts retentissent encore dans des centaines de documents d’archive déchiffrés [...] la piété de l’historien peut restituer le timbre de ces voix inaudibles, s’il ne récule pas devant l’effort de reconstituer le lien naturel entre la parole et l’image" [22, p. 106]. Il craint l’empoisonnement et les influences électriques et pense que la clinique possède des équipements raffinés déstinés à permettre l’élimination des hommes. Se livre à une activité effrénée de cérémoniaux pathologiques théorisés dans des "obsessions symbolico-superstitieuses bizarres". Il "fait beaucoup de vacarme, crie, lance des appels, se parle à lui même à voix haute, en partie dans un galimatias de néologismes stéréotypés" [6]. Il a peur des pogroms et se plaint de la "politique de catastrophes" de ses médecins. H. Embden est surpris par le style pathologique de A. Warburg qui saute d’un sujet à l’autre, montrant par la fugacité et la volatilité de ses idées qu’elles ne sont pas prises au sérieux et qu’aucun dire ne semble définitif. "Warburg, vous n’y croyez tout de même pas vraiment?", lui demandent perplexes ses médecins. Après l’été de 1920, il est tranféré à Iéna dans la clinique d’Otto Binswanger où quelques années auparavant l’internement de Friedrich Nietzsche ne se solde pas par un succès. Hans Berger, pionnier de l’ondulation imaginaire du cerveau connue comme électroencéphalographie, demande son transfert chez L. Binswanger (8) car il est convaincu que le patient est atteint d’un délire de préjudice pré-sénile avec un pronostic "absolument défavorable".

Bellevue en désordre

Les quelques élements biographiques que possède L. Binswanger lui sont fournies par H. Embden : un fort attachement à sa mère, des idées obsessionnelles infantiles à caractère sexuel, une forte opposition à son père autour des rituels alimentaires traditionnels. Il évoque ses rituels complexes comprenant l’utilisation des cahiers à spirale, de crayons de couleurs, etc. Il a la réputation d’être un coureur de femmes et aussi d’avoir des intuitions justes, dans la politique ou les affaires. A son arrivée à Bellevue en avril 1921, il faut employer la force pour qu’il remette les clefs de sa valise. Se moque de la "clique binswangérienne" [6] à laquelle il prépare une forte opposition : Kurt, Ludwig, et l’oncle Otto Binswanger. Selon les premières observations, le tableau demeure identique : "grande gueule" [10], ses paroles inintelligibles résonnent dans toute la clinique. L’usage de la voix semble illimité : il hurle, il emploie parfois trois voix différentes, utilise des néologismes dont l’inspiration lui viendrait d’un Arabe et se gausse d’imiter les phonés animales. D’autres fois, il croit qu’on imite la voix des autres, et se méprend sur l’identité de ses interlocuteurs. Il ne cesse pas d’écrire dans son journal et se promène les poches pleines de petits bouts de papier où il enferme ses idées de peur qu’on les lui vole. Celles qu’il verse dans son journal fuyent aussi : remplit près de 25.000 pages d’écriture graphorrhéique qui dérivent dans une schizographie, avant de devenir simples lignes ondulantes occupant tout l’espace de la feuille [8].

A la clinique [6], A. Warburg se débat avec les multiples survivances de Ninfa. Ces imagos inquiétantes se voient attribuer à son égard une jouissance maléfique ou dominatrice, toujours érotique et souvent obscène, à laquelle il réagit avec autant de violence que cela lui semble nécessaire : "Petit Warburg, si cette maudite bête de Satan d’infirmière ne te protège pas, tu es perdu!". Ce comportement devient un leit-motiv à Bellevue, dont seule Mme Binswanger semble partiellement épargnée. L’agression de son infirmière ne semble pas l’apaiser et, pendant qu’il craint l’élimination des Juifs, il solliloque : "Frieda (9), meichirix [...] cette charogne supérieure, ma mère, où est-elle passée"? Tout comme Ninfa, l’ensemble de sa recherche historique se retrouve pêle mêle dans le tourbillon de ses propos. Délire, witz, ironie, métaphore, semblent mijoter inextricablement dans une "soupe d’anguilles" [13], selon la métaphore culinaire avec laquelle il désigne son style de recherche. D’ailleurs, la questions des rites alimentaires devient à Bellevue celle des rixes alimentaires. Il se dispute et invective les cuisinières, faits qu’il consigne dans ses lettres [6]. Mme Höfer, cuisinière à Bellevue, semble avoir retenu sa colère. Il se plaint que les plats ne sont pas préparés dans des bons recipients, que lorsqu’il mange des cerises il mange sa descendance, réclame du pain azyme. Le choux frisé qu’on lui sert est la cervelle de son frère, la viande est la chair de sa famille. Dans cette accusation de "sarcophage" résonnent de façon néologique ceux où il rencontre Ninfa et la ménade. Il mange ses enfants tel Saturne, sinistre Dieu de la Mélancolie. Aussi, il dénonce qu’on lui donne à boire du sang comme une survivance des lointaines diatribes antisémites de son Luther bienaîmé. Sous le regard d’un portrait de F. Nietzsche malade, il parle aux papillons de nuit dans ce que ses médecins appellent "un culte" avec les petites bêtes qui ont une âme. C’est aussi une confession faite à sa Psyché : "Petit papillon, le professeur te remercie de pouvoir bavarder avec toi, puis-je te dire toute ma douleur, pense un peu petit papillon, le dix-huit novembre 1918 j’ai eu si peur pour ma famille que j’ai pris mon revolver et que j’ai voulu la tuer, et moi avec" [6]. Son implication subjective dans la politique de son époque trouve une continuité dans ses propos autour du thème du soupçon universel. Il est persuadé que dans une fête aux alentours de Bellevue on entonne des chansons parodiques adréssées à lui, sous l’impulsion d’une clique antisémite. Par souci de calme, L. Binswanger et sa famille lui cachent que son fils est aussi hospitalisé à Bellevue térrorisé par sa déchéance, et que vient d’être assassiné Walter Rathenau, proche de la famille et ministre des Affaires étrangères de Weimar [7].

La fugue diagnostique

Mais, au milieu de tout son vacarme, A. Warburg est capable de commenter de manière brillante une conférence de L. Binswanger sur la phénoménologie, de recevoir Ernst Cassirer ou Hans Prinzhorn venus discuter d’art avec lui, ou de se rendre aux lieux d’art d’alentours en compagnie de Mme Binswanger. Les formes cliniques que A. Warburg produit sont autant multiples que déroutantes aux yeux de l’équipe de Bellevue, comme témoigne une certaine désorientation diagnostique [6]. A son arrivée, il est consigné : dem.[entia] pr.[aecox] L. Binswanger corrige dans le style du Burghölzli : schizophrénie. S. Freud veut savoir si cet homme aux travaux subtils pourra continuer son travail [11]. L. Binswanger lui fait savoir qu’il n’espère aucun retablissement quo ante de la psychose et qu’il ne croit pas à la reprise des recherches. Il songe à le faire venir, mais la famille décide la consultation du moins nietzschéen des psychiatres, Emil Kraepelin, qui en février 1922, après une consultation qui laisse un mauvais souvenir à A. Warburg, consigne dans un laconique rapport teinté d’ironie vis-à-vis de ses prédécesseurs : "Diagnostic : état mixte maniaco-dépressif, avec un pronostic tout à fait favorable. Son départ de la clinique est pour le moment exclu, parce qu’il s’agit d’un cas aigu et que cela ne ferait que ralentir le processus de guérison" [6]. L. Binswanger est stupéfait (10).

La rituel de la conférence

Il est difficile de préciser de quelle manière cela intervient dans le cours des événements. Le fait est qu’animé par son assistant Fritz Saxl, A. Warburg se lance dans une conférence sur un rituel qu’il observe chez les indiens Pueblo d’Arizona, lors d’un voyage en Amérique en 1895. Un "remède de la science" afin que "le flux" de ses idées ne le conduise pas dans une impasse. C’est un travail "d’autolibération par le souvenir de mes tentatives d’éclaircissement en matière de psychologie de la Renaissance" qu’il considère comme "la confession d’un schizoïde (incurable), versée aux dossiers des médecins de l’âme". Deux ans après son arrivée à Bellevue, la conférence a lieu devant un auditoire où se trouvent par une étrange coïncidence l’icône des Etudes sur l’hystérie Bertha Pappenheim (Anna O.), le danseur Vladimir Nijinsky et le peintre expressioniste Ernst Kirchner, camarades d’infortune. A. Warburg retrace sa rencontre avec les indiens de l’Arizona, représentants à ses yeux d’une survivance du paganisme antique : "Athènes et Oraïbi, rien que des cousins". Il redécouvre dans la coïncidence entre la forme serpentine et la représentation de l’éclair le symbole "peut-être universel du cosmos". A Oraïbi, il est saisi par une scène qui le hante jusqu’à Bellevue : le rituel du serpent. La "forme serpentine", qui survit dans ses travaux comme "la forme pathéthique universelle", rentre en scène de manière singulière qui n’est pas sans rappeller la danse des bacchantes d’Euripide : "un indien, visage peint et tatoué, une peau de renard attachée dans le dos, saisit le serpent et le prend dans la bouche [...]. Dès que tous les serpents ont étés portés pendant un certain temps au son des claquettes [...] les danseurs les emportent à la vitesse de l’éclair dans la plaine, où ils disparaissent" [21]. Dans cette "causalité dansée", il voit l’avatar universel du sujet civilisé : muer une angoisse sans nom et sans image dans les noms et images de l’angoisse. A. Warburg, qui conçoit en quelque sorte sa performance comme une répétition du rituel, réussit partiellement. Malgré l’aura qui entoure cette conférence (11), il faudra encore plus d’un an d’hospitalisation avec le tumulte habituel avant qu’il ne quitte Bellevue en 1924, après trois ans de soins chez les Binswanger et six années de désarroi frénétique, et la conception d’une "nouvelle méthode" de travail.

FUITE DE L’IMAGINAIRE

Traces warburgiennes

Lorsque Max Warburg demande en 1934 à L. Binswanger que peut-il y avoir d’intéressant dans ses archives en vue de la publication d’une biographie d’Aby, on note quelque embarras dans sa réponse : "Je me suis moi-même souvent démandé à plusieurs reprises s’il y aurait quelque intérêt biographique à voir le psychiatre prendre une fois la parole sur la maladie de votre frère, vu qu’on trouve [...] des transitions tout à fait intéressantes de ses vues scientifiques à des idées détachées et délirantes" [6, p. 35]. A. Warburg lui-même l’a déjà mis dans l’embarras exigeant qu’il se prononce sur la "validité thérapeutique" de sa conférence et sur l’esquisse d’"une nouvelle méthode, réellement féconde" pour laquelle il revendique aussi une "valeur psychiatrique". C’est peut-être l’indice que l’ouvrage qu’il publie en 1932, Sur la fuite des idées, est imprégné du style d’A. Warburg. La vignette clinique qui ouvre le livre ressemble à son portrait : il s’agit d’une lettre intempestive qu’un patient de Bellevue adresse à la cuisinière, dans laquelle autant le style d’écriture que le contenu rappellent son journal et ses rixes avec Mme Höfer (12). Au-delà de l’anecdote, l’on peut s’apercevoir que les célèbres analyses sur la fuite des idées ordonnées sont à l’image de son épreuve psychique, de sa nouvelle méthode et des deux instruments essentiels qu’il crée à sa sortie de Bellevue : l’Atlas Mnémosyne et la Bibliothèque.

Arrêtons nous un instant sur cet ouvrage remarquable. Le vocabulaire utilisé par L. Binswanger dans Sur la fuite des idées illustre l’influence que les idées de F. Nietzsche impriment dans certains courants de la psychiatrie germanophone les descriptions de cette maladie de la modernité, entre volonté de puissance et éternel retour du même. Une maladie par ailleurs si proche de l’économie politique que A. Warburg connaît de si près, faite de cycles, expansions, crises et dépressions. L’ouvrage réfute les conceptions mécanicistes qui ne voient dans la fuite des idées qu’une accélération ou un désordre de la pensée, et soutient qu’il s’agit d’une forme de vie à part entière. La clé de lecture est donnée par la citation d’une référence commune avec son patient, la Phénoménologie de l’esprit de Hegel : "L’individu est ce qu’est le monde en tant que sien" [5, 14]. Cette position cherche à rendre caduque toute déscription de la fuite des idées qui ne tienne pas compte du monde de signification qui l’ordonne. C’est ce qui introduit un écart entre l’humeur trourné vers la machinerie biologique et l’affect ouvert au monde. Dans le vocabulaire heideggerien de L. Binswanger, l’affect (stimmung) ne veut pas dire autre chose que "l’être disponible" [5] ; l’être disponible au monde qui est le sien, ce qui fonde une circularité herméneutique qui seule permet d’interpréter l’essence existentielle de la manie. Pour décrire le monde propre à la manie, L. Binswanger se sert de paradigmes communs à son son patient : un paradigme chorégraphique (la danse comme existence du corps jouissive et sans finalité), un paradigme festif (mode d’être optimiste dans une jouissance illimitée), et un paradigme esthéthique d’une hybris totalisante (la pure joie comme une existence où temps et horizon sont illimités). Pour le sujet de la fuite des idées, le monde d’autrui, le Mit-Welt, constitue une expérience absolue du "se trouver disposé [...] au milieu de l’étant en son ensemble" [5], où le contact intime avec l’événement de monde devient quelque chose d’excessif. Et le propre de la fuite des idées, c’est que dans ce monde, rien n’est définitif. La problématique et le souci (le sorgen heidéggérien) sont aux antipodes, capables d’écraser l’homme jusqu’à la mélancolie. Existence et problématique sont les deux côtés de la réalité, dans laquelle l’art et la culture occuppent un espace mixte, d’essence esthétique mais traversés par une finalité problématique. Comme il s’en charge de le préciser, chez L. Binswanger ces deux pôles ne constituent qu’un "cas-limite". En réalité, toute fuite des idées contient toujours déjà un ordre qui la rend impure, mixte. Ceci est encore vrai pour la fuite désordonnée des idées, où l’on retrouve un ordre qui n’est plus celui du sens mais celui de la jouissance sonore du mot. Ce qui revient à dire qu’une pure existence sans problématique n’existe pas : l’opposition renferme soit une problématique prise trop à la légère, soit une joie existentielle troublée moralement. Le fait décisif du monde de l’homme maniaco-dépressif n’est pas dans cette bipolarité, mais qu’il est un monde toujours déjà traversé par la contradiction. L’homme maniaco-dépressif est "l’homme qui voit et a le monde divisé dans son fondement le plus profond" [5]. Pour L. Binswanger, entre béatitude naïve et laisser tomber, l’homme maniaco-dépressif n’apprend rien de nouveau sur "l’homme", mais montre dans sa forme spectaculaire, comme celle de A. Warburg, "ce qu’est l’homme". Et, alors que le "sain d’esprit" se débrouille entre les deux pôles dans une perpétuelle spirale, l’homme maniaco-dépressif est celui "qui tourne en rond" [5].

La méthode : la pause ordonnée

Son intuition a vite fait comprendre à A. Warburg qu’il se trouve devant une solution inédite : sa méthode. G. Agamben précise en quoi la science sans nom est originale et utile à l’historien d’art : alors que les disciplines philologiques et historiques sont nécessairement prises dans un cercle herméneutique et tournent en rond, celle d’A. Warburg le rompt pour produire une "spirale hermeneutique" [1], qui d’un premier plan situé au niveau de l’iconographie et de l’histoire de l’art (celui de la valeur esthétique de W. Benjamin) déborde ensuite sur un deuxième plan plus vaste de l’histoire de la culture (celui de sa valeur cultuelle), pour enfin extraire une implication subjective (le déclin de l’aura de l’ère technique), un diagnostic de la schizé de l’homme occidental entre ses deux pôles, celui de la pratique magico-religieuse et celui de la contemplation mathématique. Fort de sa méthode nouvelle, A. Warburg se lance au montage des deux instruments de recherche qui lui donent corps : l’Atlas Mnémosyne et la bibliothèque de l’Institut Warburg pour la science de la culture. Le principe qui les régit est analogue à celui décrit par L. Binswanger : fuite ordonnée des images dans l’Atlas, et fuite ordonée des théories dans la Bibliothèque [7]. L’Atlas Mnémosyne ne comporte pas de texte mais des milliers des photographies des sujets iconologiques de la recherche de A. Warburg, accrochées sur des toiles noires, dans lesquelles Ninfa garde une place d’exception. Il permet de se mouvoir dans le monde des images comme le fait le sujet de la fuite des idées de L. Binswanger : par sauts, par la proximité et la largeur de vue, par le dé-loignement du monde. Une cinquantaine de planches numérotées permettent des combinaisons interchangeables : "rien de définitif" [5]. A. Warburg appelle "iconologie de l’intervalle", le savoir qui en résulte, un savoir ouvert, fuyant et illimité qui porte sur des tensions, anachronismes et contradictions. L’Atlas se place dans la grande salle ovale de sa bilbiothèque, dans une configuration qui fait ressurgir selon Philippe-Alain Michaud [18] la place d’Oraïbi où se déroule le rituel du serpent. Dans les étages, plusieurs spirales herméneutiques s’ordonnent selon la fuite du principe du bon voisin, métaphore de la contiguïté métonymique : la réponse à la question que l’on cherche ne se trouve pas dans l’ouvrage que l’on prend, mais dans celui qui se trouve à côté. Chaque progrès dans la pensée, conduit à réordonner les livres, transformant le savoir déposé dans plus de 30.000 volumes en organisme vivant dansant selon des nouvelles causalités.

Dans ces dispositifs à traiter la parole écrite et l’image, l’effet maniaque ne manque pas de se faire sentir. La solution de A. Warburg rejoint les remarques W. Benjamin sur l’image, celles de G. Agamben sur Ninfa, mais aussi et surtout la solution singulière que les aliénistes et psychiatres ont découvert à l’œuvre chez leurs patients maniaco-dépressifs : une pause - plus ou moins longue selon les sujets -, dans une dialectique de la jouisance à la dérive. Il s’agit de trouver la parade pour limiter, le temps d’un arrêt, la fuite de la jouissance illimitée, "une oscillation sans résolution entre une aliénation et nouvel événement de sens" [2, p. 30]. Contrairement à la pure dérive où "le sujet n’est plus lesté" [17], ils supposent un sujet particulier au centre du dispositif : le sujet psycho-historien. C’est à dire, à la fois A. Warburg génie d’exception, mais aussi A. Warburg everyman [7], le représentant de monsieur tout-le-monde. Et c’est ce qui lui permet de réussir là où ses deux prédécesseurs ont échoué ; il est le tertium datum entre deux célèbres "sysmographes très sensibles" de son époque, F. Nietzsche et J. Burckhardt : "Nous devons apprendre à [les] voir comme des capteurs d’ondes mnémoniques et comprendre qu’ils prirent conscience du monde de deux façons fondamentalment différentes" [18]. J. Burckhardt est le nécromant qui évoque les spectres historiques et les maîtrise dans une contemplation mélancolique en construisant sa tour d’observation à l’écart du monde. F. Nietzsche est le type d’ancien prophète, le porteur du thyrse qui oblige tout le monde à le suivre mais succombe à l’appel. Dans une note écrite peu avant sa mort, A. Warburg fixe la nouveauté de sa position : "Souvent, il me vient à l’esprit que, en tant que psychohistorien, je cherche à établir la schizophrénie de la civilisation occidentale à partir de ses images par un réflexe autobiographique : la nymphe extatique (maniaque) d’un côté, et le dieu fluvial mélancolique (dépressif) de l’autre" [1].

Warburg redux

Redux est l’expression latine - équivalente du plus contemporain reloaded -, avec laquelle A. Warburg désigne sa nouvelle situation subjective [7]. Un "revenant" qui élabore dans les cinq années qui suivent Bellevue une "histoire des fantômes pour personnes adultes". Selon ses proches, il devient une formidable "fontaine à paroles", producteur d’innombrables aphorismes dans lesquels il essaye de fixer des idées, toujours fuyantes. A son apogée, il lui reste le temps d’écrire un essai novateur sur Déjeuner sur l’herbe de Manet [13], ouvrant une nouvelle ligne de fuite pour Ninfa qui laisse tomber son drappé dans les haillons des rues de Paris, selon le regard benjaminien de G. Didi-Huberman [9]. En 1929 à Rome, ce sujet si profondément engagé dans son temps a l’occasion d’assister à un événement unique à ses yeux qui rend aussi réél l’objet de sa recherche que jadis le rituel du serpent : Mussolini et le Pape proclament la réconciliation de l’Italie et l’Eglise catholique. Il disparaît pendant des heures et rejoint peu avant minuit sa famille qui l’attend avec angoisse : "Vous savez que tout au long de mon existence je me suis intéressé à la renaissance du paganisme et aux fêtes païennes. Aujourd’hui j’ai eu la chance unique d’assister à la repaganisation de Rome et vous me le reprochez" [13]. Chaque époque a la renaissance de l’Antiquité qu’elle mérite... Peu avant la catastrophe qu’il a prophétisé à Bellevue, il fait entendre une dernière fois sa voix tonitruante d’autrefois : "Mary!" ou "Aby!", les versions divergent [6]. A moins qu’il ne s’agisse simplement que du denier cri. Dans son journal, on lit une brève ligne de prière pour l’arbre de son jardin, qui après une mort apparente a laissé pousser quelques bourgeons. De quoi donner raison une nouvelle fois à G. Agamben qui peut y voir un nouvel signe de la grandeur de ce sujet engagé dans les questions de son monde, "dont les idiosyncrasies, mais aussi les remèdes trouvés pour les maîtriser, correspondent aux besoins secrets de l’esprit du temps" [1].

BIBLIOGRAPHIE:

1) AGAMBEN Giorgio, A propos de la science sans nom d’Aby Warburg (1975), in La Puissance de la pensée, Essais et conférences, Paris : Bibliothèque Rivages, 2006.

2) AGAMBEN Giorgio, Ninfe, Torino : Bollati Borlinghieri, 2007.

3) BENJAMIN, Walter, "L'œuvre d'art à l'époque de sa reproductibilité technique" (1939), in Œuvres III, Paris : Gallimard, Folio Essais, 2000.

4) BENJAMIN Walter, Paris, Capitale du XIXème siècle, Le livre des passages (1927-1934), Paris : Editions du Cerf, 2006.

5) BINSWANGER Ludwig, Sur la Fuite des idées (1933), Collection Krisis, Grenoble : Jérôme Millon, 2000.

6) BINSWANGER Ludwig, WARBURG Aby, La Guérison infinie, Paris : Bibliothèque Rivages, 2007.

7) CHERNOW Ron, The Warburgs. The Twentieth-century odyssey of a remarquable jewish family, New York : Vintage Books, 1994.

8) DIDI-HUBERMAN Georges, L’image survivante, Histoire de l’art et temps des fantômes selon Aby Warburg, Paris : Les Editions de Minuit, 2002.

9) DIDI-HUBERMAN Georges, Ninfa moderna, Paris : Gallimard, 2002.

10) EY Henri, Etude N° 20 Manie, Etudes psychiatriques, Tome III, Vol I, Perpignan : Crehey, 2006.

11) FREUD Sigmund, BINSWANGER Ludwig, Correspondance. 1908-1938, Paris : Calmann-Lévy, 1995.

12) GADAMER Hans-Georg, Nietzsche l’antipode, Paris : Editions Allia, 2000.

13) GOMBRICH Ernst, Aby Warburg. Una biografia intelletuale (1970), Le Comete, Milano : Feltrinelli, 2003.

14) HEGEL Georg Wilhelm Friedrich, Phénoménologie de l’esprit (1807), Tome I, Paris : Gallimard, Folio Essais, 1993, p. 300.

15) LACAN Jacques, R.S.I., séminaire inédit 1974/1975.

16) LACAN Jacques, Le Séminaire Livre XX, Encore..., Paris : Seuil, 1973.

17) LACAN Jacques, Le Séminaire Livre X, L’angoisse, Paris : Seuil, 2004.

18) MICHAUD Philippe-Alain, Aby Warburg et l’image en mouvement, Paris : Macula, 1998.

19) NIETZSCHE Friedrich, La naissance de la tragédie (1872), Paris : Gallimard, Folio Essais, 2007.

20) SANTNER Eric, My own private Germany, Daniel Paul Schreber’s secret history of modernity, New Jersey : Princeton University Press, 1996. 

21) WARBURG Aby, Le Rituel du serpent, Récit d’un voyage en pays Pueblo (1923), Paris : Macula, 2003.

22) WARBURG Aby, Essais florentins, Paris : Kliencksieck, 1990.
 

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Autres textes 
El goce ilimitado de la Ninfa
Warburg avec Binswanger
Angustia biopolítica
L'anxiété morbide Etude bioplitique de Henri Ey
Giorgio Agamben et la mélancolie : philosophie de la clinique
Ey et Lacan : la folie entre corps et esprit
Le capitaliste fou
Transformations délirantes ou le pousse à la femme
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Notes

1 Selon G. Didi-Huberman les Nymphes sont des divinités sans pouvoir institutionnel "mais irrandiantes d’une véritable puissance à fasciner, à bouleverser l’âme [...] belles apparitions drapées [...]marchant dans le vent, toujours émouvantes, pas toujours très sages, presque toujours érotiques, inquiétantes quelquefois" [9].

2 Sensible aussi à la jouissance pastoute d’une image drappée répondant aux critères de A. Warburg, Jacques Lacan conseille tout simplement aux auditeurs de son séminaire : "Vous n’avez qu’aller regarder à Rome la statue du Bernin" [16].


3 J. Lacan le note, il n’y a pas d’effet de sens "sans ondulation imaginaire" [15, Leçon du 11 février 1975].

4 Le pathosfomel est chez A. Warburg un symbole hybride de forme imaginaire et de matière jouissante. Sa structure conflictuelle le distingue de l’eïdos husserlien qui se rapproche de l’Idée pure, ou de l’archétype junguien, toujours égal à lui-même. L’expression pathosformel, formule de pathos, désigne l’aspect stéréotypé et répétitif du motif imaginaire. Sa vie posthume requiert une opération, dont l’agent est le sujet affecté par l’image d’art : il lui revient de cueillir un "potentiel" déjà présent dans les images.

5 "Une image, [...] est ce en quoi l’Autrefois rencontre le Maintenant dans un éclair pour former une constellation. En d’autre termes : l’image est la dialectique à l’arrêt" [4, p. 479].

6 La notion d’engramme qu’il emprunte aux travaux sur le système nerveux central, métaphorisent la cristallisation d’une expérience émotive déposée dans la mémoire sociale des images [1].

7 A. Warburg conserve la bipolarité du terme : daimon oscille entre une force intérieure et inconsciente et une puissance émanant du réel, qu’elle soit destrucrice ou créatrice. L Binswanger, pour qui une certaine sécularisation de la notion s’est produite dans le terme psychose, y voit la possibilité existentielle de vivre en un seul monde le passé, le futur et le présent [5, pp. 298-304].

8 "Cette maison de cure sur le lac de Constance où des malades mentaux plutôt choyés, de familles riches, étaient traités de manière attentive et coûteuse et où les infirmieres avaient la délicatesse des sages femmes", Joseph Roth, La Marche de Radetzky (cité dans [6]).

9 L’infirmière Frieda Hecht l’accompagne depuis Iéna. Elle est licenciée en 1922 par la famille Warburg et L. Binswanger après un intrigue complexe dans laquelle une note érotique semble avoir eu sa part. Le même nom et prénom figurent dans la liste des disparus à Sobibor.

10 "Personnellement, je me suis progressivement dégagé d’un diagnostic de schizophrénie très large à la suite de quelques consultations particulièrement impressionnantes avec Kraepelin" [5, p. 136]. Il partage ainsi avec A. Warburg l’idée que le choix du style diagnostic est un choix éthique, mais aussi son étonnemment lorsque celui-ci qualifie de "tout à fait incroyable" le pronostic posé par E. Kraepelin [6].

11 Ron Chernow finit de dissiper le mythe d’une guérison fantastique, signalant jusqu’à quel point beaucoup d’inconvenances ont substisté pendant les dernières années de sa vie.

12 L’on doit prendre en compte que la nécessaire anonymisation des observations cliniques publiées, a peut-être métamorphosé l’auteur de la lettre en une femme. Le motif de la rixe est un usage indiscriminé des récipients de cuisine.