SIGNE Laurent Houtan
L'Orang Outang N° 2
Patrick Vincent

 
 
 
"Un dément précoce que j'ai observé menaçait les médecins quand ils voulaient lui refuser une autorisation avec les mots : "Moi, GrandDuc Méphistophéles, je vous ferai traiter par la vandetta pour représentation d'orangs-outangs"(Dr C.G. Jung "Uber die Psychologie der Dementia praecox", Walter-Verlag, Olten, Suisse, cité par l'Unebévue n' 2, page 173, E.P.E.L. 1993).

Saviez-vous que Georges Lantéri-Laura s'est intéressé à l'orangoutang ? ... à propos d'une patiente qui utilisait le néologisme "raoutan" pour parler:

"des hommes dont la queue de singe (bien que les orang-outangs enfussent dépourvus) dépassait le bas du pantalon et qui goûtaient fort la sodomie active ; dans les bonnes périodes, ils remontaients'effacer dans les murs où on les discernait à peine, et dans les mauvaises, ils en redescendaient pour l'injurier et l'importuner physiquement" (E.M.C. 3713ClO 6-1988 page 5b).

Il ajoute:

C'est le patient qui précise. quand il le peut, laquelle des diverses combinaisons sémantiques possibles fait sens pour lui; il peut d'ailleurs en exister plus d'une"

Ce ne semble pas ici le cas puisque Georges Lantéri-Laura y met du sien:

"Ra(t)outang parait, à première vue, fabriqué en joignant rat et orang-outang, à condition d'enlever orang à ce dernier terme. Mais pris séparément, ni orang ni outang n'appartiennent au lexique français. Dès lors, nous devons parler en rapprochant cet exemple d'une variété de fracture de la rotule, de néologisme comminutif, puis l'un des signifiants à agglutiner se trouve mis en pièces. L'agglutination peut aussi se faire avec ragoûtant dont on enlève le g, mais également avec ragoûtant moins goutant plusorang-outang moins orang, lequel orang pourrait être orant.Sans chercher à développer ces éventualités, nous pourrions aussiévoquer rat, plus goûtant moins g ; outang renvoie à ou plus temps et à ou plus tant, et ainsi de suite.

Au niveau du signifié, l'aire sémantique de ra(t)outang mélange "rat", "dégoût", "singe", "prière", si bien qu'on peut parler en évoquant la chimère de Benvenuto Cellini, d'une mosaïque sémantiqueDans ces néologismes par agglutination de type comminutif nous voyons donc que la fragmentation fonctionne aussi bien à l'étage du signifiant qu'à celui du signifié.

A notre tour ajoutons qu'en conclusion de cet article dans l'E.M.C. de Georges Lanteri-Laura et de L. del Pistoia, intitulé "Psychologie du langage chez l'adulte", en page 11b, celui qui est devenu "le ratoutant" est à nouveau convoqué :

"Or, si nous examinons un néologisme comme rajoutant, typique de l'aire sémantique en mosaïque, nous voyons que des regroupements de phonèmes peuvent devenir porteur de sens alors que, spontanément, le sens du mot néologistique apparaît bien douteux des fragments de mot fonctionnent comme des mots, alors que des mots fonctionnent comme des phonèmes. En d'autres termes on ne sait jamais exactement si un élément donné vaut comme enchaînement de phonèmes ou comme unité sémantique.

C'est exactement la structure du rébus, dont S. Freud, dans la Traumdeutung (G.W. IIIIIIN, pages 283 et 284) montrait qu'elleconstituait l'interprétable par excellence...".

Eh oui !,

"De même que l'homme fort se réjouit dans son aptitude physique, se comptait dans les exercices qui provoquent les muscles à l'action, de même l'analyste prend sa gloire dans cette activité spirituelle dont la fonction est de débrouiller. Il tire du plaisir même des plus triviales occasions qui mettent ses talents en jeu. Il raffole des énigmes, des rébus, des hiéroglyphes ; il déploie dans chacune des solutions une puissance de perspicacité qui, dans l'opinion vulgaire,prend un caractère surnaturel. Les résultats, habilement déduits par l'âme même et l'essence de sa méthode, ont réellement tout l'air d'une intuition".

C'est ainsi qu'Edgard Poe en 1843, visionnaire commence son "double assassinat rue Morgue" où, grâce à Dupin, celui qui a fait le coup se révèle donc être un orang-outang ou peut-être un orang-outan.

Faut-il ou pas lo-ger ce g à la queue de l'outan, ce g que Lantéri-Laura ra-joute à son Raoutan pour proposer un ragoûtant ?

On conviendra donc qu'un raout d'orants de haut rang n'a rien à voir avec un ragoût de rats d'égouts dégoûtants et pas ragoutants (On voit qu'il ne s'agit ni de nouvelle cuisine ni d'un nouveau paradigme pourtant déductible: l'orangogénèse et sa clinique du singe).

Mais quand même, Lantéri Lauraoutan : quel drôle de nom pour cette patiente : Lauraoutan. Quel drôle de néologisme pour ce psychiatre qui justement dit que la théorie sert d'objet au contretransfert de psychiatre (Psychiatrie et Connaissance, page 182, 1991).

Pétrarque, lui, se servait de cette figure de rhétorique appelée Paronomase "pour ra-viver" une présence indicible, celle de Laura, dont le nom n'est jamais prononcé, seulement évoqué dans le Canzoniere

"L'aura, che'l verde lauro et l'aureo crinel soavemente sospirando move" (sonnet CCXLVI, E.U.T., 2620a).

"Le souffle fait frémire en soupirant avec douceur, le vert laurier et la chevelure d'or".

Il parait que certains pétrarquistes se seraient demandé si cette Laura, chère au poète existait en chair et en os ou seulement dans les rimes et par les rimes du poète.

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