L'ARGENTINE : DE LA DEPRESSION PSYCHOTIQUE
AU DELIRE PARANOIAQUE?
Eduardo Mahieu
18 janvier 2003

Actualité des thèses de Roger Zagdoun au regard de la 
situation de l'Argentine  du dernier quart de siècle


Pablo Canedo.

 

 
Le fait de m'être proposé comme discutant du livre de Roger Zagdoun répond simplement au fait qu'il ne m'ait pas laissé indifférent. J'ai lu ce livre dans l'après-coup des événements de décembre 2001 en Argentine et après le premier tour des élections présidentielles de 2002 en France. J'ai eu un certain malaise à sa lecture, une inquiétude. Malgré le fait que beaucoup des arguments avec lesquels l'auteur s'avançait dans son argumentation n'étaient pas les miens, ses propos prenaient cependant une brûlante actualité en France après le traumatisme du 18 avril 2002, et puis doublement lorsqu'on se penchait sur la situation en Argentine, avec une société qu'on pouvait facilement décrire comme déprimée et au bord de la dislocation complète. Ce texte, complexe, contient différentes thèses qui s'emboîtent, toutes polémiques. Chacune mériterait qu'on se penche avec détail, à tel point qu'il faudrait presque un discutant par thèse. Nôtre propos aujourd'hui va se limiter seulement à effleurer celles qui interrogent le désarroi que la situation actuelle de l'Argentine réveille, et la tentative de penser des issues qui ne soient pas celles du cycle de répétition masochiste pointé par Zagdoun qui va de la "dépression psychotique" d'une nation au "délire paranoïaque" génocide. J'espère que la discussion qui va suivre comblera cet écart.

Freudo-marxisme de centre?

Une des mes premières impressions fut de découvrir dans ce livre quelque chose d'original que je pourrais situer comme une sorte de freudo-marxisme de centre, mais tout de même avec deux particularités: un "au-delà de Freud", mais aussi un "en deçà" de Marx. L'au-delà de Freud je le situe dans la tentative de constituer une sorte de Weltanschauung, une explication générale de l'Histoire qui contredit ce que Freud et Lacan avaient expressément dit à ce sujet (1). D'autre part, je dis un en en deçà de Marx, car il existe un emprunt des ses termes (p. ex celui de lutte de classes), mais leurs contenus ne leur correspondent pas. On retrouve des contenus œdipiens à leur place.

Inversion de la querelle sur l'humanisme.

Cependant, se posant ainsi, le livre de Zagdoun repose en négatif une célèbre querelle philosophique du XXème siècle: la querelle sur l'humanisme (Colombel (J.), Jean-Paul Sartre, Coll. Textes et débats, Le Livre de Poche, Essais, Paris, 1985), sur le statut de l'homme dans l'histoire, querelle qui fit des ravages, qu'il nous suffise de nous remémorer du triste exemple de Roger Garaudy. Cette querelle divisait les matérialistes des idéalistes, mais aussi les existentialistes des marxistes, puis elle divisait les marxistes eux-mêmes, et semait la polémique parmi les structuralistes et autres courants de pensée sur le statut du sujet. L'œuvre de Zagdoun avec ses concepts d'œdipe collectif ou de personnalité appliqué à un pays n'a pas comme moindre vertu de faire réactualiser ces polémiques en se situant en opposition à ces syntagmes.

De cette querelle, je fis miennes certaines options qui se voient polémisées par l'auteur du livre, comme par exemple la phrase de Georges Politzer: "La psychologie ne détient nullement le "secret" des faits humains, simplement parce que ce secret n'est pas d'ordre psychologique" (Politzer (G.), La crise de la psychologie contemporaine, Editions sociales, 1947, p. 120; cité par Sève (L.), Marxisme et théorie de la personnalité, Editions sociales 4ème édition, 1975). Ou alors l'expression tant de fois mal comprises de Louis Althusser qui disait que ce que Marx reconnaissait à Hegel était le fait d'avoir le premier conçu l'histoire comme un procès sans sujet (Althusser (L.), Averstissement (1969), in Marx (K.) Le Capital, Livre I, Champs Flammarion, 1985, p. 21). Althusser s'est efforcé de montrer en quoi "l'objet de Freud n'est pas l'objet de Marx", et de séparer une pratique de l'individu et sur l'individu, d'une "théorie des formations sociales, et tout au plus des formes historiques de l'individualité." (Althusser (L.), L'affaire Tbilissi, Ecrits sur la psychanalyse, Freud et Lacan, Livre de Poche, Biblio, Essais, 1993, p. 241-242).

Questions épistémologiques : analogie et identité

Mais aussi, le livre de Zagdoun peut être lu en ayant en tête une autre querelle célèbre de la psychiatrie cette fois-ci, celle qui la traverse depuis plus d'un siècle et demi et qui concerne les rapports entre rêve et folie avec cette question épistémologique qui reste posée: analogie ou identité? Cette question épistémologique est bien ancienne, et à travers le livre de Zagdoun elle se pose de façon aiguë.

Platon s'était déjà penché sur la question de l'analogie dans La République. Puis Aristote déclara que l'être se dit de plusieurs manières. Les scolastiques ont accepté et élaboré la doctrine aristotélicienne et ils ont distingué entre une façon de parler univoque, une façon de parler équivoque, et une façon de parler analogique (2).

Parmi les épistémologues modernes, Canguilhem a traité cette question des modèles et analogies dans les sciences (Canguilhem (G.), Modèles et analogies dans la découverte en biologie, in Etudes d'histoire et de philosophie des sciences, Paris, Vrin, 1979, pp. 305-318).

Il en ressort que l'analogie n'en est pas moins un procédé épistémologique tout à fait valide dans l'histoire des idées scientifiques, à un détail près. Comme il est dit dans l'article correspondant de l'Encyclopédie Philosophique Universelle :

"L'analogie dépend étroitement d'un jeu de métaphores qui périodiquement au cours de l'histoire, redistribue les significations et crée de nouvelles connexions entre les phénomènes, dépendant donc étroitement du contexte intellectuel et social. L'efficacité du raisonnement sur les modèles ne doit pas faire oublier la construction qui est à l'origine du modèle et nous faire confondre celui-ci avec une représentation du réel (en d'autres termes, passer du "modèle pour" au "modèle de")".
Autrement dit, ne pas éluder "la logique propre de l'objet propre", selon l'expression de Marx (Marx (K.), Critique du Droit politique hégélien, Editions sociales, 1973, p. 149). Cette question des différences entre analogie et identité se pose tout au long de l'ouvrage de Zagdoun, et nous allons nous en servir dans nos propos.

Spécificité de la Shoah

La thèse centrale du livre est bien celle du transfert paranoïaque de Hitler à Freud, et les thèses qui en découlent dérivent de l'extension para analogie des particularités de cet événement aux autres persécutions et génocides dans l'histoire, dont celle de l'Argentine. Zagdoun ne nie pas la spécificité de cet événement. Il lui donne des argumentations psychanalytiques qui diffèrent de celle de Lacan pour qui :

"... aucun sens de l'histoire, fondé sur les prémisses hégéliano-marxistes, n'est capable de rendre compte de cette résurgence, par quoi il s'avère que l'offrande aux dieux obscurs d'un objet de sacrifice est quelque chose à quoi peu de sujets peuvent ne pas succomber, dans une monstrueuse capture" (Lacan (J.), Séminaire Livre XI, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, Editions du Seuil, coll. Points, 1973, p. 306).
D'autres auteurs, par exemple Gérard Wajcman, pose lui l'unicité de la Shoah, affirmant qu'elle ne procède pas simplement de l’ampleur du crime, mais du fait que les nazis ont fabrique un crime comme déjà, de toujours et à jamais arraché aux pages de l’histoire. La grande industrie nazie ne produit pas des charniers, mais des cendres, rien de visible; elle fabrique de l’absence, l’Irreprésentable (Wajcman (G.), L’art, la psychanalyse, le siècle, in Lacan, L’écrit, l’image, Champs Flammarion, 2000).

Alors, sans oublier ce point central, nous pouvons revenir à la comparaison avec la situation en Argentine ayant en tête une réflexion que s'approprie Canguilhem : ce que nous pouvons apprendre de ces analogies c'est en quoi elles diffèrent.

Réintroduire le politique

Nous pensons qu'il y a un intérêt restreint à substituer à l'histoire concrète le seul point de vue psychanalytique tel qu'il apparaît dans l'abord de Zagdoun, car ceci a comme inconvénient majeur de masquer le registre politique. Si nous réintroduisons cette dimension, nous pouvons voir que nous rencontrons un contexte complexe dans lequel se produit la spécificité de la Shoah et qui lui donne ses conditions de possibilité, sans pour autant devenir la détermination essentielle. Ce contexte est ce que Zagdoun appelle la "dépression psychotique d'une nation". Et avec le registre politique, les analogies retrouvent d'autres fils conducteurs que celui qui va de la dépression psychotique au délire paranoïaque. Stéphan Zweig, témoin privilégié de l'époque (Zweig (S.), Le monde d'hier, Souvenirs d'un européen (1944), Livre de Poche 1982) notait bien comment l'industrie lourde allemande finança et propulsa Hitler en avant. Le journaliste argentin (3) Daniel Muchnik rappelle l'ouvrage de Fritz Thyssen, le magnat allemand de l'acier - mort à Buenos Aires - qui dans un livre-confession révélait le rôle joué par la grande bourgeoisie allemande dans l'arrivée du nazisme au pouvoir (Muchnik (D.), Negocios son negocios, Grupo Editorial Norma, Buenos Aires, 1999), mais aussi l'implication de l'entreprise américaine Ford et autres grands groupes. Voici pour le contexte. Nous verrons un peu plus tard comment cela intéresse la situation actuelle de l'Argentine.

La banalité du mal

Penchons nous sur un des phénomènes majeurs de la période nazie, ce que Hannah Arendt nomme la banalité du mal.

"La Solution finale était, aux yeux de Hitler, un des objectifs principaux de la guerre. De cette conspiration - si c'en était une - il était l'unique et seul conspirateur : jamais complot n'a requis un si petit nombre de comploteurs et un si grand nombre d'exécutants" (Arendt (H.) Eichmann à Jérusalem. Rapport sur la banalité du mal (1963), Gallimard, Folio Histoire, Paris, 1997.
Rappelons que c'est à peu près le même constat que fait Primo Lévi. Si Hitler était sans doutes un délirant paranoïaque, tel qui est dépeint dans le livre du psychiatre Vallejo-Nájera Locos egregios, très connu dans le monde hispanique (Vallejo-Nájera (J. A.), Locos Egregios, Editorial Planeta, (1989), 37ª édition, Madrid, 1993, pp. 222-238), un autre personnage hautement responsable de l'extermination des juifs nous montre une position subjective différente: Adolf Eichmann, lui aussi caché, puis retrouvé, en Argentine. C'est une des thèses que défend Hannah Arendt dans son ouvrage Eichmann à Jérusalem, Rapport sur la banalité du mal. Ni paranoïaque ni délirant, il a incarné une modalité de l'horreur toute particulière : le "massacre administratif".
"L'ennui avec Eichmann, c'est précisément qu'il y avait beaucoup qui lui ressemblaient et qui n'étaient ni pervers ni sadiques, qui étaient, et sont encore, effroyablement normaux".
Cet homme qui ne s'est jamais défini comme un criminel, et dont la description de "pervers sadique" a été rejetée par le tribunal de Jérusalem, s'est retrouvé devenir un des plus grands criminels de tous les temps.
"Certes, il importe aux sciences politiques et sociales de savoir qu'il est dans la nature même du totalitarisme, et peut-être de la bureaucratie, de transformer les hommes en fonctionnaires, en "rouages" administratifs et, ainsi, de les déshumaniser"
Si nous nous arrêtons un peu sur ce point, c'est d'un côté pour souligner que là ne gît pas la spécificité de la Shoah, mais d'un mécanisme qui puisse, par analogie, être étendu à bien d'autres circonstances, comme le fait Arendt elle-même. Et l'analogie avec l'actualité de l'Argentine n'a pas manqué d'être faite par notre collègue Silvia Bleichmar (Bleichmar (S.), Dolor País, Libros del Zorzal, Buenos Aires, 2002), mais pas du tout à l'égard de la dictature militaire, comme nous allons le voir, mais de la situation qui est arrivé après 18 ans de démocratie parlementaire représentative.

Répression en Argentine : Videla, les militaires et l'oligarchie latifundiste

Le personnage d'Eichmann trouve son pendant indigène dans le personnage de Videla, homme très pieux et respectueux du règlement, qui accomplit "son devoir pour la patrie" (Seoane (M.), Muleiro (V.), El dictador. La historia secreta y pública de Jorge Rafael Videla, Editorial Sudamericana, Buenos Aires, 2001). Dans quel contexte politique arriva-t-il au pouvoir? On ne peut pas dire que l'Argentine du début des années soixante dix puisse être décrite comme une société déprimée, car en 1975, avec José Ber Gelbard comme ministre de l'économie, elle voyait diminuer son déficit fiscal, le PIB augmentait de 5,2% et la distribution de la richesse permettait que la participation des salariés soit à hauteur du 36% avec une dette extérieure ne dépassant pas les 7.000.000 de dollars. Gelbard se payait le luxe d'ordonner aux entreprises de voitures américaines ou françaises installées dans le pays, d'exporter voitures à Cuba à prix coûtant sous la menace de nationalisations (Seoane (M.), El burgués maldito, Planeta - Espejo de la Argentina, 1998). Mais les deux branches internes du péronisme puissamment armées, à gauche avec Gelbard et à droite avec López Rega, un membre de la Logia P2, commençaient à se livrer une bataille sanglante et mortelle. La violence de cette lutte dont je fuis témoin, laissait des morts dans les rues et produisait une surpolitisation de la vie quotidienne en Argentine.

La dictature de Videla, qui prend le pouvoir en 1976 n'a rien eu d'un délire paranoïaque, mais tout d'une dictature classique, avec une "dépolitisation" totale des actes quotidiens. Le bain de sang qui dura de 1976 à 1979 laissa 30.000 disparus accusés de "subversifs", un nombre incalculable d'exilés, au milieu d'une propagande d'état dont le slogan était "les argentins, nous sommes droits et humains", pour répondre aux "campagnes anti-argentines" orchestrées de l'étranger "par les subversif qui s'étaient enfuis". Toute cette massacre était déniée, et les centres de détention - plus de 350 -, restaient clandestins. Toutes les formes de la violence eurent lieu, allant de la simple agressivité à la cruauté la plus sophistiquée, dont la torture méthodique avait peu à rajouter aux méthodes codifiées déjà par l'Inquisition espagnole, sauf la technologie moderne: électricité, avions, explosifs, etc. Sa spécificité réside peut-être dans la méthode des disparitions, avec son lot de morts-vivant qui hante encore le pays, avec la génération des Fils des disparus (4) qui fait place à l'association des Mères de la Place de Mai, et laissa des dizaines de milliers d'Antigones errantes dans un entre-deux morts sans fin avec tout de même la particularité d'avoir été privées de la dignité du choix d'Antogone, et à différence de Polynice privés d'une tombe avec leur nom (Nicoletti (E.), Desaparición, duelo y rito significante, El ser hablante y la muerte, Psicoanálisis y el hospital, Buenos Aires, Año 10, N° 20, nov. 2001, pp. 27-31).

L'analogie avec le nazisme était faite par les tortionnaires eux-mêmes, mais justement pour marquer les différences. Une prime d'horreur lui était réservée aux juifs argentins. Deux cas peuvent être contrastés: Celui de Ruben Schell, argentin d'origine allemande qui détenu et torturé se voit dire: "Mais qu'est-ce que tu fais avec cette horde de negros? Si avec ton visage tu devrais être un S.S..." Et en lui montrant une svastique tatouée dans son bras il ordonna qu'il soit bien nourri, et à partir de ce jour il ne fût plus torturé. Par contre à Nora Stejilevich séquestrée dans une opération cherchant à retrouver son frère, menacée d'être transformée en savon, on lui affirme que "le problème de la subversion" était celui qui les préoccupait principalement, mais "le problème juif" était celui qui lui suivait en importance et qu'ils accumulaient de l'information pour l'aborder ensuite (Informe Conadep, Nunca Más, Eudeba, Buenos Aires, 1984, pp. 71-72). Malgré cela, les mobiles de la répression sont restés politiques pour l'essentiel.

Le ministère de l'économie n'était pas dans les mains d'un militaire, mais d'un homme issue de l'aristocratie latifundiste, Martínez de Hoz, accompagnée de plusieurs pans de la société civile, dont faisait partie Domingo Cavallo, l'homme clé de ce qui allait suivre. Le nouveau plan économique de "reconstruction nationale" laissa au moment où les militaires quittent le pouvoir après sept ans au pouvoir, une dette extérieure de 49.000.000 de dollars résultat de l'étatisation des dettes privées, une guerre perdue contre le Royaume Uni pour les Malouines, et une très forte régression sociale.


"Manos anónimas", Carlos Alonso

Alfonsín : "La casa está en orden"

Avec le retour de la démocratie, Alfonsín en 1983, un membre de l'Internationale Socialiste, gouverne le pays. Alfonsín dut affronter quelques révoltes militaires qui s'opposaient aux jugements des responsables de la répression qui avaient lieu. Devant un pays dans la rue pour défendre l'ordre démocratique il prononce pendant les fêtes de Pâques de 1987 une phrase célèbre : "la casa está en orden", pour demander aux gens de rentrer chez eux. En fait il avait négocié avec les militaires les lois de "l'obéissance due" et du "point final", qui tout comme lors des procès de Nuremberg mettaient fin aux jugements qui risquaient de devenir interminables. Le problème essentiel étant de mettre des contours à la chaîne des responsabilités de la répression, qui risquait de devenir interminable elle aussi. Mais l'année 1989 voit éclater l'hyperinflation (plus de 6.000% annuelle) poussant des nombreux argentins à un nouvel exil, volontaire et économique cette fois-ci. Cette année, que certains on défini comme une "révolution russe à l'envers" voit un massif transfert de la richesse avec le début d'un appauvrissement progressif des classes moyennes. Il a dû quitter le pouvoir en toute hâte avec le pays au bord du chaos et des saccages et laissa la place à Carlos Menem. La dette extérieure frise les 80.000.000 de dollars.

Menem : Premier monde

Avec Menem, le pays rentra selon sa propagande dans le "premier monde". Un processus de privatisation sans précédents au monde intervient (Winocur (P.), Les privatisations en Argentine, quel avenir?, à paraître), processus qui devait mettre fin à la dette extérieure. Deux mots d'ordre: privatisation et dérégulation et un homme clé : le ministre de l'économie Domingo Cavallo, pendant la dictature ancien président de la Banque Centrale et auteur de l'étatisation de la dette privée, mentor du plan de "convertibilité" qui fixa la parité peso/dollar à un contre un. Son gouvernement a été sans doutes, l'un des plus corrompus de la planète. La corruption est un sujet sérieux et qui mérite une analyse profonde dans les liens entre les formes de la subjectivité et l'économique. Mais elle non plus ne nous donne la clé pour comprendre la situation de l'Argentine puisque nous pouvons par analogie prendre l'exemple suivant : nous comptons parmi le G7, c'est-à-dire le groupe de nations qui tentent de diriger le cours des événements, une des nations où une tradition de corruption est monnaie courante, et qui a des liens très étroits avec l'Argentine : l'Italie, qui n'est pas précisément un exemple d'échec économique. Le gouvernement de Menem a été peut être un de ceux qui a les plus respecté la liberté d'opinion, et les critiques et les satyres eurent bon train, mais cet homme avec sa naturelle sympathie les neutralisait toutes. La banalisation de la corruption se voit traduite dans l'image du syndicaliste Luis Barrionuevo qui interrogé sur son train de vie personnel affirme à la télévision : "En Argentine personne ne fait de l'argent en travaillant", et puis de rajouter, "Si dans ce pays on arrête de voler pendant deux ans tous les problèmes se règlent". Sans avoir besoin d'une répression policière quelconque, le pays entier s'adonna en apparence à l'idéologie de la mondialisation et son corrélat subjectif de la division de la société en winners et loosers.

De la Rua et le retour du centre-gauche

Nous arrivons à la situation actuelle après deux ans de gouvernement d'une alliance de centre gauche, dont le président De la Rúa, élu par le rejet massif de l'électorat de la corruption des années Menem, se trouve sans idées politiques ni économiques et décide de rappeler à la tête de l'économie une nouvelle fois à Domingo Cavallo. Après deux ans de spirale infernale, d'accroissement sans précédents de la dette extérieure nous arrivons aux événements de décembre 2001, la spectaculaire crise sociale très médiatisée, qui vit passer cinq présidents en deux semaines et trente-deux morts dans le pays. Dans un dossier fait par l'hebdomadaire L'Express et disponible sur internet nous pouvons lire le tableau de l'Argentine actuelle:

"La lecture de la presse donne le vertige: «Cinq homicides par jour, sept vols par heure dans le Grand Buenos Aires, enlèvements éclairs en hausse.» Selon un sondage du ministère de la Justice, 88% des Porteños (habitants de Buenos Aires) se sentent menacés. Ils ont raison. La pauvreté affecte plus de 50% des Argentins et 70% des enfants. Selon le quotidien La Nacion, 2,3 millions d'entre eux souffrent de faim ou de malnutrition, et trois en meurent chaque jour".
Et ce dans un pays de 36 millions d'habitants où, comme le dit le journal espagnol El País du 16.11.02 il existe une production alimentaire capable de nourrir 300.000.000 de personnes. Et le journal Le Monde du 13.12.02 citant la revue argentine Veintitrés de rappeler:
"1 500 Argentins ayant de hauts revenus, beaucoup bénéficiant d'informations privilégiées provenant du pouvoir politique et économique – banquiers, hommes d'affaires, fonctionnaires, journalistes et vedettes du spectacle –, ont transféré 3 milliards de dollars à l'étranger [...] les riches Argentins [ont] toujours préféré déposer leur fortune personnelle dans des refuges bancaires hors du pays. Au total, 150 milliards de dollars, soit un chiffre "supérieur à la dette extérieure argentine et au PIB" [...] L'hebdomadaire affirme que "le principal allié" des nombreux banquiers qui ont sorti leur argent du pays a été Domingo Cavallo, le super-ministre de l'économie des années 1990, qui détenait ce portefeuille en décembre 2001 et qui a inventé le corralito : "Cavallo a attendu que les banquiers exportent leurs dollars avant de freiner la fuite des capitaux, quand il ne restait plus que les dépôts bancaires des petits épargnants." [...]En 2001, précise l'article, "la fuite des capitaux s'est élevée à 18 milliards de dollars". Il souligne au passage que les gros industriels argentins sont sortis doublement gagnants de la crise puisqu'ils ont bénéficié de la "pésification" de leurs dettes libellées en dollars.

Après l'abandon brutal de la convertibilité, qui imposait artificiellement depuis dix ans la parité du peso avec le dollar (1 peso = 1 dollar), ils ont été autorisés à rembourser leurs dettes en pesos dévalués. Les dollars, soigneusement gardés à l'étranger, leur permettent de vivre luxueusement dans un pays devenu bon marché"

Voilà quelque chose qui donne à la bonne vieille lutte de classes un autre contenu qu'en termes d'œdipe...

Alors, l'Argentine, déprimée?

Patricio Rey et son groupe de rock los Redonditos de Ricota chantent à la jeunesse : "Le future est arrivé maintenant". Pouvons nous trouver une meilleure analogie avec la subduction mentale dans le temps propre à la mélancolie décrite par Minkowski, avec son lot de fatalité et d'éternisation? (Minkowski (E.), Le Temps Vécu, Presses Universitaires de France, 1995). Mais avant de poursuivre dans le terrain de l'analogie, voyons quelques éléments de l'état sanitaire du peuple argentin par le biais d'une revue de la presse. Le journal La Nación du 18.06.01 interviewait un psychiatre qui disait "Le scepticisme et la tristesse ravagent le moral des gens. Les consultations psychiatriques dérivées des pathologies sociales ont augmenté [...] Ceci produit apathie, tristesse, dépression, affaiblissement, inertie et la courbe de ces symptômes a augmenté de manière exponentielle". Dans le journal El Clarín du 13.12.01 un psychiatre et psychanalyste affirme que les consultations pour dépression ont augmenté 300% ces derniers jours : "Dans une population rendue vulnérable par le chômage et la désespérance les nouvelles modifications [économiques] sont appréhendés comme si le pays était en guerre". Dans le quotidien de Córdoba, La Voz del Interior du 09.03.02 les confrères de l'Hôpital Neuropsychiatrique Provincial expliquent que la demande a augmenté, mais celle-ci ne correspond plus au profil traditionnel "On reçoit chaque fois plus de pathologies "actuelles": syndromes dépressifs graves, troubles par anxiété, somatisations, tentatives de suicide, idées de mort, irritabilité, impulsivité et violence, parmi d'autres. Ce type de demande, avant minoritaire, comprend maintenant le 53% des cas alors qu'on est un hôpital qui reçoit majoritairement des chroniques". Tout ceci au milieu d'une situation sanitaire colapsé, car le système public fortement délaissé au profit des systèmes privatisés de santé, n'arrive plus à faire face au transfert massif de la demande de soins des personnes qui abandonnent, manque de moyens, le système privatisé. En attendant de voir plus clair dans les nécessaires différences psychopathologiques à faire entre mélancolie, dépression, désespoir et désespérance, pour ne psychiatriser l'existence, poursuivons maintenant dans le chemin de l'analogie.

Dolor País

A l'image du "risque pays" (5), indice dénommé Emerging Markets Bond Index Plus élaboré par la banque d'inversions J.P. Morgan, ou des entités de qualification internationale de risque comme Moody´s, Standard & Poor´s, Fitch-IBCA, etc., et qui mesure le "risque" que pose un pays pour les investisseurs étrangers, qui a grimpé à hauteurs inimaginables entraînant avec lui les taux de remboursement de la dette extérieure, Silvia Bleichmar a tenté de mesurer l'indice "douleur pays", c'est à dire le degré de souffrance subjective de ces dernières années.

Les images de la mélancolie imprègnent tout son ouvrage, qui n'est pas un ouvrage théorique, pour décrire la situation subjective actuelle des argentins, dans un langage poétique et métaphorique qui prend par moments soit l'allure d'un épitaphe, soit celle d'un manifeste. Bleichmar pense que le pays a réalisé, dans une sorte d'accomplissement d'une prophétie, le désir mortifère d'identification aux grands-parents qui tant de fois ont dit "comment on voit que dans ce pays il n'y a jamais eu de faim ou de guerres!" Elle pointe bien la position mélancolique qui était affichée dans un panneau des piqueteros, le mouvement de chômeurs, qui disait: "Nous avons trois problèmes : nous n'avons pas de travail, nous ne sommes pas retraités, nous ne sommes pas morts". C'est la désolation profonde de ne pas être entendus, l'hilflosigkeit décrit par Freud. L'impressionnante masse des nouveaux pauvres s'est identifié à cette position. Pleins de honte pour la défaite de l'utopie, qui constitue le principal échec pour Bleichmar, le pays se trouve plongé dans un deuil pathologique par la perte de l'Idéal. Le plus-de-malaise, elle le situe dans la profonde mutation historique subie les dernières années qui laisse le sujet dépouillé d'un projet transcendantal, ce qui rend impossible d'apercevoir des modes de diminuer le malaise régnant.

L'exode, qui a toujours été à l'horizon mythique de l'Argentine, n'est pas pour Bleichmar un symptôme de l'absence d'issues mais de l'abandon de sa recherche. Le processus de désidentification s'accentue et les argentins partent vers toutes sortes d'horizons, même les plus risqués, tel le cas de ce jeune homme originaire de Córdoba, parti à 17 ans en Israël et mort lors d'un attentat kamikaze quelques semaines après son arrivée à la terre promise.

Cette impression d'accomplir un destin tragique, que Bleichmar rapporte à la nature des argentins, mélancolique dès le départ, est issue de la tentative de cacher la pauvreté originelle de l'immigration. Borges le met en scène dans le Poème Conjectural (Borges (J.L.), Poema conjetural, El otro, el mismo, in Obras Completas, Emecé, Buenos Aires, 1974) où Narciso Laprida, homme de droit et héros de l'indépendance, réfléchit dans la carrosse qui le conduit à la mort: lui qui rêvait d'être autre, homme de sentences, de livres, va gésir à ciel ouvert entre les marécages. Mais il se voit comblé par une jouissance inexplicable : "enfin je me retrouve avec mon destin sud-américain". Comment ne pas évoquer ici à cette formule antique du destin : Genois oios estti, Deviens ce que tu es!, impératif avec lequel Lacan (Lacan (J). Propos sur la causalité psychique, Ecrits, Seuil, 1966) lisait comme un aphorisme pré-socratique le Wo es war soll ich werden de Freud?

Mais Bleichmar nous appelle à plus d'attention, et à ne pas confondre les registres et à ne pas confondre le désespoir avec la désespérance: le désespoir peut nous conduire à l'espoir alors que la désespérance n'est autre que la conviction dramatique que les temps futurs n'ont rien à offrir. Alors, c'est là que la question de l'analogie avec le cycle dépression psychotique - délire paranoïaques de Roger Zagdoun peut être posé : une partie de la société collective argentine plonge dans cet état que chez un sujet on appelle une "dépression psychotique". Cela appelle-t-il un Père-Maître délirant paranoïaque? Tout cela ne serait que du pur masochisme? L'Argentine est-elle condamnée au cycle dépression psychotique, donc délire paranoïaque?

Des formes de la violence

Avant d'avancer un peu plus dans cette comparaison croisée, révisons un peu comment on est arrivé là. Tous les analystes s'accordent aujourd'hui pour dire que cette situation est le résultat du processus qui commence dans les années 70. Ici donc, la cruelle et sadique dictature militaire des années 1976-1983, que si nous poussons l'analogie un peu plus du côté de l'équivoque nous pouvons la rapprocher du délire paranoïaque, n'est pas la suite logique d'une société déprimée et masochiste: elle la précède : la situation que nous décrivons arrive après 18 ans d'une démocratie parlementaire formellement irréprochable. Bleichmar nous donne d'autres éléments supplémentaires pour penser ce processus. Il existent des nuances, des positions différentes dans les différents modes de produire la douleur aux autres qui correspondent à des formes différentes de fonctionnement de la subjectivité : l'agressivité est la réponse avec laquelle le moi se confronte à l'opposition qu'un autre moi exerce sur sa volonté. Le stade du miroir est celui qui permet de lui donner la forme d'un dépassement du tranchant mortel, et ce dépassement implique la reconnaissance de l'autre en tant que tel, la reconnaissance du semblant. Dans les luttes sociales, les confrontations des humains pour le pouvoir ou dans les guerres, y compris celle de l'amour, l'agressivité est au centre. Le sadisme, est l'effet du plaisir qu'on peut ressentir à produire de la douleur, mais qui ne nécessite pas forcément la reconnaissance de la subjectivité de l'autre. Il se produit tout de même une destitution subjective, et le corps de l'autre, corps souffrant, est au service de la jouissance. La cruauté est un mixte des deux précédentes formes : elle reconnaît le caractère subjectif de l'autre et elle essaye sa démolition par le moyen de la douleur qu'elle lui inflige. La torture est son paradigme. Briser l'autre non seulement dans son idéologie mais dans le noyau même de son intimité et à travers cela, de son identité. Ce sont essentiellement les formes subjectives de la violence employées par la dictature militaire argentine: cruelle et sadique au nom de la loi et la civilisation occidentale et chrétienne.

L'autre violence

Bleichmar signale un autre mode d'opérer, qui n'est ni intrinsèquement sadique, ni agressif, ni cruel, et cependant qui est tout cela par ses effets : l'action ne se soutient pas de la tentative de démolir l'autre, mais dans l'ignorance pure et simple de son existence, dans la désarticulation de toute empathie. C'est là qu'elle revient à la banalité du mal d'Eichman pour faire la comparaison avec la situation de l'Argentine: le fait que n'importe quel bureaucrate puisse tenir à jour des plannings avec des chiffres qui contrôlent et rendent plus efficace, rationalisant les recours, la forme de la mort à partir d'une mesure des coûts matériels et effets recherchés. Cette banalité du mal, incarnée par Eichman à Jérusalem peut être bien plus anonyme. C'est ce que Slavoj Zizek affirme de notre monde contemporain, faussement "post-moderne" ou "post-industriel":

"Le destin de couches entières de la population et quelquefois de pays entiers peut être décidée par la danse spéculative et solipsiste du capital, poursuivant ses objectifs de rentabilité dans une indifférence bienheureuse aux effets de ses mouvements sur la réalité sociale.

Là se situe la violence systémique fondamentale du capitalisme, bien plus mystérieuse que la violence sociale et directe précapitaliste. Cette violence n'est plus attribuable à des individus concrets et à leur "mauvaises" intentions. Elle est purement "objective", systémique, anonyme [...] il n'y a personne à qui attribuer la faute, personne qui soit responsable : les choses se sont simplement passés ainsi, à travers des mécanismes anonymes" (Zizek (S.), Le spectre rode toujours. Actualité du Manifeste du Parti Communiste. Editions Nautilus. 2002, pp. 13-14).


Si nous nous permettons l'analogie entre Eichman et la crise Argentine, nous n'oublions pas ce que nous avions dit au début : l'industrie nazie avait pour but produire de l'Irréprésentable, si nous reprenons à notre compte les propos de Wacjman, ou le produit d'un inceste délirant selon la thèse de Zagdoun. Le processus en Argentine ne visait qu'à produire du profit. La violence qui s'est abattu sur les argentins ne répond à d'autres causes, et la figure de Carlos Menem n'est qu'un "rouage" de ce mécanisme d'une violence banale et anonyme qui peut frapper n'importe qui, indépendamment de son identité.

Décembre 2001: Que se vayan todos!

Quel sera le dénouement de la crise de décembre 2001? Il est un peu tôt pour se prononcer. La solution paranoïaque menace l'Argentine? Certainement. Salvoj Zizek signale que le déclin de l'autorité symbolique patriarcale donne naissance à une nouvelle figure du Maître. Dans l'exemple qu'il utilise, cette figure est celle de Bill Gates, et dans le notre cela pourrait être celle de Menem :

"à la fois un simple égal, un faux jumeau, un double imaginaire et qui à cause de tout cela précisément, est doté fantasmatiquement de la dimension de Mauvais Génie. En termes lacaniens, cela signifie que la suspension de l'Idéal du Moi, de l'identification symbolique, autrement dit la réduction du Maître à un Idéal imaginaire, fait forcément émerger son envers monstrueux, celui du Surmoi dont la figure est celle d'un Mauvais Génie omniprésent" (Zizek (S.), Le spectre rode toujours. Actualité du Manifeste du Parti Communiste. Editions Nautilus. 2002, pp. 23).
En avril 2003 il devrait avoir lieu des élections présidentielles et Carlos Menem est un des candidats. Mais, pour Bleichmar, les journées de décembre 2001 sont un laboratoire de reconstruction d'une subjectivité dévastée où restaurer le lien au semblable autrement que dans des rapports marchands. L'événement citoyen, et ses effets sur la subjectivité paraissent diverger d'une solution paranoïaque. Le seul slogan politique qui tient encore la route en Argentine le dit tout haut: que se vayan todos, qu'ils s'en aillent tous!

Un élan de solidarité est en train de tenter de reconstruire un lien social en Argentine, indépendamment du FMI, du gouvernement et des opinions des économistes experts. D'un côté nous avons eu un essor incroyable de l'économie du troc, qui se passait de la monnaie frappée par la Banque Centrale. D'autre part, les usines abandonnées, car devenues non profitables, sont occupées par des coopératives qui les remettent en état d'usage et visent à produire pour satisfaire les besoins essentiels des secteurs entiers tombés dans la pauvreté. Le phénomène est assez particulier pour intéresser le journal The Economist (Under workers' control 7.11.2002) puisqu'aucun discours révolutionnaire n'accompagne ce phénomène, et dans certains cas les coopératives passent des accords et payent des loyers modiques à leurs propriétaires pour l'utilisation des locaux. Plus de 120 usines marchent ainsi aujourd'hui, sans qu'aucun discours politique y soit associé, sans projet de révolution totale de l'humanité.

Selon le journal Página 12 du 4.11.02, des citoyens constitués en assemblées et des médecins de l'hôpital psychiatrique Borda ont présenté aux autorités sanitaires un projet de remise en fonctionnement de la vielle boulangerie asilaire, capable de produire une tonne de pain par heure, ainsi que des pâtes et des pizzas. Avec un investissement minimal pour remettre en marche le matériel laissé à l'abandon depuis la privatisation du système de restauration hospitalière, les intervenants cherchent une restauration du lien social à plusieurs niveaux: en premier lieu, répondre aux criants besoins alimentaires de la population; ensuite réintroduire la notion de réhabilitation socio-professionnelle chez les patients et leur redonner une place et un sens au sein des réflexes solidaires que génère cette profonde crise; et finalement un but politique, celui du restituer sa place à l'action publique, perdue au cours des années '90.

Il en est de même pour un certain nombre de cliniques privées en faillite, qui sont réoccupées par leurs anciens salariés, toutes catégories professionnelles confondues pour remettre en route le soin nécessaire, telle la Clinique Halac, le seul institut de néo-natologie de haute complexité á Córdoba. Le nom de leur coopérative? Renacer Limitada, que nous pourrions traduire par renaissance limitée.

Conclusion

Que le cycle de répétition masochiste ne soit pas une fatalité! Qu'une mère déprimée n'enfante pas mécaniquement des paranoïaques. Que la séquence des trois générations que Freud cite dans une lettre à Fliess, et que Lacan reprend dans les journées sur la psychose de l'enfance, et qui a un arrière goût de la théorie de la dégénérescence de Morel et Magnan, ne se constitue pas en loi idéaliste selon le mode hégélien, ou génétique selon un mode plus cybernétique, ni même psychanalytique sur un mode métapsychologique. Alors, puisse Roger Zagdoun se tromper!

NOTES

1  "...une Weltanschauung est une construction intellectuelle qui résout, de façon homogène, tous les problèmes [...] à partir d'une hypothèse qui commande le tout [...]. [La psychanalyse] est absolument inapte à former une Weltanschauung" (Freud (S.), Sur une Weltanschauung, in Nouvelles conférences d'introduction à la psychanalyse, Folio Essais, 1989, p. 211-243); "...la psychanalyse n'est pas une Weltanschauung, ni une philosophie qui prétend donner la clé de l'univers." (Lacan (J.), Séminaire Livre XI, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, Editions du Seuil, coll. Points, 1973, pp. 90).
 

2  Voici un petit résumé des conceptions scolastiques: Le terme ou nombre commun qui est prédicat de plusieurs êtres est appelé univoque lorsqu'il s'applique à tous en un sens totalement semblable ou parfaitement identique. Il est équivoque lorsqu'il s'applique à tous et chacun des termes en un sens complètement distinct (ainsi taureau comme animal ou constellation). Il est analogique lorsqu'il s'applique aux termes communs en un sens non parfaitement ou non entièrement identique, ou mieux encore en un sens différent mais semblable depuis un point de vue déterminé (Ferrater-Mora (J.), Diccionario de filosofía abreviado, Editorial Sudamericana, Buenos Aires, 1983).
 

3  Plusieurs fils historiques guident nos propos d'aujourd'hui, c'est-à-dire les liens entre le nazisme et l'histoire de l'Argentine contemporaine. Nous trouvons que ce pays a eu une place particulière dans l'histoire depuis très longtemps, car, si elle était un des sols possibles que le sionisme de Théodor Herzl imaginait pour l'état juif (Herzl (T.), The jewish state (1896), American Zionist Emergency Council, 1946), elle le fut certainement pour des nombreux nazis qui se sont cachés grâce aux obscures ambiguïtés du Général Peron.
 

4  H.I.J.O.S. : Hijos por la Identidad, la Justicia, contra el Olvido y el Silencio.
 

5  Techniquement, c'est la surtaxe que payent les instruments de la dette en rapport avec les intérêts des bons du Trésor des Etats Unis, pays considéré comme le plus solvable au monde.
 
 
 

BIBLIOGRAPHIE

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28) Zizek (S.), Le spectre rode toujours. Actualité du Manifeste du Parti Communiste. Editions Nautilus. 2002

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