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Programme du Séminaire
Introduction
Le particulier d'un cas clinique que nous
traitons, nous a permis de réfléchir aux glissements sémantiques
et conceptuels intervenus entre la folie maniaque-dépressive, la
psychose maniaco-dépressive, termes aujourd'hui désuets et
remplacés par celui, politiquement correct, de "Trouble bipolaire",
et de constater que de l'un à l'autre, de Kraepelin ou des Etudes
Psychiatriques d'Ey au DSM-IV il s'agit d'une entreprise d'assèchement
du "Zuidersee" clinique, à l'aide d'une opposition affectif-cognitif
qui trouve une base solide dans la psychologie des facultés
chez Kant, mais qui est merveilleusement poussé par les arguments
de vente de l'industrie pharmaceutique, avec les termes très suggestifs
d'antipsychotiques et antidépresseurs.
Le rythme mécano-dynamiste qu'Henri
Ey prêtait aux idées en médecine, se voit dans le champ
des psychoses, reflété dans les avatars entre une conception
unitaire de la psychose, continuiste, et une autre conception discontinuiste.
Griesinger est un des tenants du modèle unitaire: les troubles de
l'humeur précèdent toujours les troubles délirants.
Après nous retrouvons folie maniaque dépressive vs
démence précoce chez Kraepelin, psychose maniaco-dépressive
vs schizophrénies chez Bleuler (bien qu'il doive être
rangé parmi les "unitaires", Minkowski disait que selon Bleuler
la question devait être jusqu'à quel point PMD et jusqu'à
quel point schizophrénie?). Lacan rappelle que pour Freud le
champ clinique de la psychose était discontinu: "Freud trace une
ligne de partage des eaux [...] entre paranoïa d'un côté
et de l'autre, tout ce qu'il aimerait, dit-il, qu'on appellât paraphrénie,
et qui correspond très exactement au champ des schizophrénies"
(23), et il réservait une place à part aux manies et mélancolies.
Des nos jour, des voix s'élèvent pour revenir au modèle
unitaire, d'autres pour proposer une classification plus dialectique (27).
Quel algorhytme découpe ce champ?
Pourquoi ceci n'apparaît pas aussi marqué avant le 19ème
siècle? C'est qu'il n'y a probablement pas d'histoire de la Psychose
Maniaco-Dépressive tel que nous l'entendons aujourd'hui, avant le
19ème siècle. Comme le dit Berrios (2), malgré
l'évidence historique en faveur d'une rupture historique dans les
sens du terme mélancolie, certains historiens de la clinique continuent
d'établir une ligne évolutive directe entre les anciens concepts
et leur usage actuel. Henri Ey nous apprend que le terme de "manie" a servi
en Grèce pour désigner la "folie", puis elle s'est appliqué
aux formes agitées et au trouble général des facultés,
puis elle est devenue synonyme de délire général,
et elle est encore très imprécise dans le traité de
Pinel (5, p. 50). De même il nous rappelle que sous le nom de mélancolie
on a, pendant des siècles rangé des formes morbides assez
disparates (6, p. 119). D'Hippocrate à Baillarger et Falret le mot
ne recouvre pas la même signification. C'est projeter en arrière
nos conceptions actuelles que de tenter d'intégrer Arétée
de Capadocce à Akiskal, Winokur ou Klein.
Henri Ey a multiplié les mises en
gardes contre une prise "à la lettre" de la sémiologie atomiste.
Mais aujourd'hui, tout l'appareillage de la psychopathologie quantitative
moderne, ne fait que réifier cette psychologie des facultés
de l'âme. Ce qui n'a eu comme résultat que "durcir" cette
séparation entre une maladie dont le trouble essentiel serait cognitif,
la schizophrénie, et une autre, affective, le trouble bipolaire.
Et le comble de tout c'est que cela se fait dans un "retour à Kraepelin"
proclamé par l'école de St Louis, alors que le Maître
de Munich est étranger à cette séparation.
La folie maniaque-dépressive continue
d'être ce carrefour qui interroge la clinique, mais toute clinique
est ordonnée par une orientation théorique, qu'elle s'avoue
ou pas. Comment en est-on arrivé a ce qui aujourd'hui s'appellent
des mood disorders dans le DSM IV, mais qui étaient il y
a jusqu'à très peu des affective disorders (comme
dans le DSM III, 16).
Le sens et contresens d'un retour à
Kraepelin
Dans la psychiatrie germanique du 19ème
siècle nous retrouvons deux courants opposés: l'école
neuropathologique de Wernicke, localisationniste (dont les membres de la
société internationale Wernicke-Kleist-Leonhard disent que
seule sa mort prématurée lui valut l'éclipse face
à Kraepelin) opposée à celle de Kraepelin, empiriste,
pour qui le seul critère pour séparer des entités
cliniques le constituait l'évolution.
A partir de la 6ème édition
de son Traité, Kraepelin ordonne sa partition des psychoses à
partir du seul critère évolutif. Les classifications
purement symptomatiques ou psychologiques lui semblent "fallacieuses".
Ainsi lorsqu'il analyse les symptômes de son entité (21) nous
trouvons, sans la moindre hiérarchisation, des troubles de l'aperception,
l'attention, la conscience, la mémoire, les troubles sensoriels,
le cours des représentations, l'inhibition de la pensée,
la productivité, les idées délirantes, l'humeur, la
logorrhée, l'excitation anxieuse, etc.
Kraepelin oppose les états maniaques
aux états mélancoliques, à l'intérieur desquels
les traducteurs français ont isolé: hypomanie (dont il dit
qu'on appelle "à tort" manie sans délire), manie aiguë
(tobsucht), manie délirante (whanbildende) et manie
confuse (delirösen zustandes, deliriums); d'autre part: mélancolie
simple, stupeur (stupors), mélancolie grave, mélancolie
paranoïde (paranoïde melancholie), mélancolie fantastique
(phantastiche melancholie, groupe "assez important" dit Kraepelin)
et mélancolie confuse.
Deux faits sont à souligner dans
cette entité kraepelinienne. D'une part il n'y a pas une subordination
des symptômes à une symptomatologie "affective ou thymique"
dite primaire ou fondamentale (2). Et d'autre part il n'existe aucune exigence
de "congruence" des idées délirantes aux troubles thymiques.
La lecture des cas avec lesquels il illustre ses catégories suffit
à le démontrer (21).
Les élèves de Wernicke, Kleist,
puis Leonhard, vont reprendre le flambeau dans l'opposition a Kraepelin.
L'idée "antikraepelinienne" de Wernicke était qu'il rassemblait
dans son entité maladies différentes étant donné
son "pauvre pouvoir d'observation" (20). Ils vont s'attacher donc à
démembrer cette entité.
Kleist considère que Kraepelin a
négligé la symptomatologie et va séparer de la psychose
maniaco-dépressive "pure" (terme inexistant chez Kraepelin ou Griesinger,
(14), un groupe de psychoses "marginales" (randpsychosen), devenues
plus tard psychoses cicloïdes. Leonhard va encore approfondir
le démembrement puisque c'est lui qui va introduire la séparation
entre bipolaires et unipolaires. Il va insister sur des formes "pures"
de la manie et de la mélancolie, c'est à dire de symptomatologie
exclusivement affective (thymique dirions nous aujourd'hui), bien qu'il
signale que ces syndromes ne se voient qu'exceptionnellement (26). Il les
sépare des autres psychoses phasiques.
C'est cette conception qui va traverser
l'Atlantique et être recueillie par l'école de St Louis. Comme
le dit Tatossian: "le point essentiel est que les classificateurs néo-kraepeliniens
sont plutôt des anti-kraepeliniens quant aux principes de la classification"
(37). Elle va trouver un terrain déjà préparé
par Rufus Wyman, un aliéniste américain du McLean Asylum
pour qui les divisions des philosophes entre intellect et affect trouvent
"une division correspondante de troubles mentaux de l'intellect et des
passions" (1830) (33). A peine plus tard, le psychiatre anglais Maudsley
dans son ouvrage The Physiology and Pathologie of Mind (1868), séparait
parmi les "variétés de la folie" la folie affective
et la folie idéative, définies par l'absence ou présence
du délire dans ses différentes formes (1).
Les formes "pures", une pure forme?
Phénoménologie et Psychanalyse.
Les phénoménologues se sont
attaqués au problème de la mélancolie et de la manie,
non pas à partir d'un "trouble de l'humeur" ou de "l'affect", mais
à partir de la phénoménologie de la temporalité.
Minkowski met en avant que l'analyse phénoménologique permet
d'envisager manie et mélancolie comme des troubles "relevant du
déploiement dans le temps, ou, si l'on veut, comme manifestation
d'une subduction mentale dans le temps" (31). Pour la manie, c'est la fuite
des idées qui constitue le trouble fondamental à partir
duquel elle est abordée, le texte le plus célèbre
étant celui de Binswanger (une remarquable synthèse de travaux
de langue allemande en est faite par Sauvagnat, 34).
Henri Ey nous rappelle "On répète
souvent que la manie n'est pas un délire […]. Cela est faux si l'on
entend méconnaître que même dans les manies les plus
simples et les plus pures, la "fuite des idées", l'exaltation imaginative,
les propos narratifs et inventifs, la fabulation, etc. et surtout la fantaisie
ludique des rapports qui lient le Monde au Moi du maniaque sont déjà
un délire naissant, c'est à dire "valent déjà
pour" une certaine distortion de la réalité vécue
et pensée" (5, p. 62). Et plus loin "Il est bien évident
que - comme nous l'avons dit pour la manie - la conscience mélancolique
contient le délire et l'hallucination. […] Il faut bien dire par
conséquent que le vécu de la mélancolie typique est
délirant et hallucinatoire" (6, p. 184)
Plusieurs auteurs, dont Berrios (2) voient
l'avènement de la psychanalyse comme faisant partie de la valorisation
de l'affectivité, poussée par le mouvement romantique. Cependant
lorsque Freud comparait Deuil et Mélancolie il séparait les
deux états à partir de la structure de la perte. Ce n'est
pas à partir de l'affect qu'il établit une clinique différentielle
"la manie n'a pas d'autre contenu que la mélancolie, les deux affections
luttent contre le même complexe" (10, p. 163). Lacan, s'alignant
sur Freud, ne donnait pas à l'affect un caractère structural
et, en conséquence diagnostique. Mais à plusieurs endroits
il articule la défénestration suicidaire ou l'orgie maniaque
comme conséquences de la forclusion, donc dans le registre de la
psychose. Eric Laurent résume la question de la façon suivante:
"l'orientation de l'enseignement de Lacan sur la mélancolie est
clair: il ne l'aborde pas à travers l'affect tristesse, bien plutôt
dans son rapport à l'acte suicidaire. La manie, quant à elle,
est non-fonction de a, non-extraction de cet objet qui provoque,
avec le rejet de tout chiffrage par l'inconscient, le retour dans le réel
d'une jouissance qui envahit et sacrifie l'organisme". Là aussi,
manie et mélancolie sont deux figures du même. (24, p. 11).
DSM, Kant et la théorie des facultés
de l'âme
Germán Berrios met l'accent sur
le fait que depuis les Grecs les passions jouent un rôle secondaire
dans la définition de la nature humaine. Cependant depuis le 19ème
siècle, l'influence des idées kantiennes en psychologie,
avec son opposition entre raison et passion, cognitif et affectif et l'importance
donnée par le mouvement romantique à l'affectivité,
celle-ci se voit éclore au 20ème siècle.
Berrios (2) signale qu'aux "termes génériques" employés
pour les "symptômes émotionnels", s'ajoutent toute une série
de termes qui nomment certains "états subjectifs" mais qui n'appartiennent
pas au même champ sémantique. Il signale le glissement sémantique
opéré entre les termes mélancolie et dépression.
La force sémantique de ce dernier a conduit depuis le 19ème
siècle à un certain nombre d'hypothèses étiologiques:
dans tous les cas un principe de "déficience" est le fait principal.
Jeniffer Radden, philosophe américain,
voit dans la psychologie des facultés de l'âme tel qu'elle
est issue de la tradition kantienne, le moule sur lequel la psychiatrie
occidentale, et en particulier les D.S.M. ont construit leurs entités
nosologiques (33). Si bien elle signale le fait que les facultés
psychologiques n'admettent pas une seule définition - elles
n'ont pas le même sens chez Kant que chez Gall ou Fodor - en même
temps elle souligne leur tronc commun. Radden n'hésite pas à
voir dans la nosologie des D.S.M. une réification des oppositions
kantiennes. Et soutient Wig pour qui la division des psychoses entre maladies
de l'affect et maladies de l'intellect ne se retrouvent pas dans les classifications
traditionnelles du Tiers Monde. Elle conclut que la taxonomie occidentale
est "arbitraire, trompeuse et déterminée par sa culture".
Congruent, incongurent
L'évidence clinique d'idées
délirantes dans les épisodes maniaques ou mélancoliques
officiant de trouble fête, des efforts on été faits
pour "séparer le bon grain de l'ivraie". Pour Bourgeois à
la suite de K. Jaspers, la congruence correspond à une idée
pseudo-délirante "compréhensible" en fonction de l'état
de l'humeur (par exemple: délire grandiose, lié à
l'expansivité maniaque, ou culpabilité délirante dans
la mélancolie) (3). Dans un autre travail il montre bien la difficulté
que pose ce concept de "congruent", et la nécessité d'interpréter
à un moment donné (38). Difficulté dont l'autre face
est celle de déterminer le caractère de "bizarrerie" pour
les idées schizophréniques (9), notion impossible à
définir rigoureusement.
Kendler (18) retrace l'histoire du concept
de mood-incongruent psychotic affective illeness. Pour lui la fondation
du concept d'incongruence il faut la trouver dans les relations de compréhension
de Jaspers et de ses développements par Kurt Schneider, mais tant
chez Jaspers que chez Schneider ce concept est introuvable. Mieux encore,
pour Schneider l'inadéquation des sentiments chez le schizophrène
"n'existe qu'en apparence" (35). Peut être le poids de la philosophie
du sens commun de Adolf Meyer, un des pères de la psychiatrie
nord américaine de ce siècle, se fait sentir ici. C'est en
fait à partir des Research Diagnostic Criteria (1978), d'un travail
de Pope et Lipinski (32) et du DSM III (1980) que cette notion prend valeur
diagnostique et pronostique.
Limites de la Psychose Maniaco-Dépressive
Henri Ey consacre plusieurs pages de son
Etude N° 25 (7) à l'autonomie et limites de la psychose périodique
maniaco-dépressive. Plusieurs questions sont évoquées:
toute crise de type maniaco-dépressif est-elle récidivante?
les formes de psychoses périodiques qui s'organisent en névroses
ou en délires chroniques ou aboutissent à un état
d'affaiblissement intellectuel plus ou moins schizophrénique, font-elles
partie de la psychose maniaco-dépressive? Les formes réactionnelles
ou symptomatiques entrent-elles dans la PMD? Faut-il inclure les crises
de manies ou de mélancolie atypiques? Nous voyons que tous ces problèmes
restent intacts. Hardy-Baylé passe en revue des travaux actuels
sur l'extraversion, sur le neuroticisme, sur l'intra et extrapunitivité,
les travaux sur l'estime de soi, les travaux sur l'obsesionnalité,
etc. Ce questionnement reconstitue "le spectre" kraepelinien abandonné
au profit d'une "clinique des affects" (15). Ce spectre maniaco-dépressif
se constitue ainsi: dépressions unipolaires, personnalité
cyclothymique et hyperthymique, trouble cyclothymique, trouble bipolaire
de type II, manie unipolaire, trouble bipolaire de type I, les troubles
schizo-affectifs (point de discorde entre la position continuiste et discontinuiste
du champ de la psychose), c'est-à-dire tous les "restes" que la
troïka Wernicke-Kleist-Leonhard avaient exclu de la folie maniaque
dépressive.
Des nous jours, Spitzer appelle à
une aproche plus "holistique" pour aborder le fonctionnement psychique,
Crow prône un retour à une conception continuiste allant des
troubles unipolaires jusqu'à la schizophrénie, selon les
degrés de defect, ou bien Angst souligne la prépondérance
des troubles szchizo-affectives et appelle à un retour de la conception
continuiste de son Maître Bleuler (cités par Radden, 33).
"Life events" ou déclenchements
du sujet?
La psychiatrie américaine, dans
le sillage de Meyer et sa notion de réaction, prêta
beaucoup d'attention aux circonstances d'apparitions des épisodes
maniaques ou dépressifs. D'autre part leur volonté à
verser dans l'objectivité leur font dresser des listes interminables
de "life events" capables de jouer un rôle dans la survenue d'un
épisode thymique (12). L'objectivation de l'événement
est explicite: "nous avons entraîné nos interrogateurs pour
coter ce que la plupart de gens auraient attendu ressentir à partir
d'un événement […] sans prendre en compte de ce que le répondeur
dit sur sa réaction" (19). Evidemment ils achoppent devant le fait
qu'un deuil puisse déclencher un épisode maniaque, ou le
fait de toucher une grande somme d'argent, une mélancolie; ou bien
encore le fait qu'un événement supposé insignifiant,
le soit pour le sujet.
Ey disait: "le plus souvent il est absolument
impossible de rattacher la crise de manie ou de mélancolie à
un événement de quelque importance autre que celle des incidents
de l'existence" (7, p. 513). Et c'est que les crises ne sont pas de simples
événements, mais portent en elles-mêmes la structure
du processus fondamental de la maladie. "Aucune relation entre l'événement
actuel et la crise de manie et de mélancolie ne peut rendre compte
complètement que le malade "fait" des crises". Ainsi il se voit
orienté vers ce qu'il appelle la "psychogenèse du "choix"
de la crise maniaque ou dépressive" (7, p. 512). "Le sens de la
crise vers la manie ou vers la mélancolie peut et doit vraisemblablement
dépendre de la situation existentielle […]. Ces conditions […] doivent
être considérées comme réalisées par
l'ensemble même de l'histoire présente et passée qui
constitue précisément dans son aboutissement, pour chacun
de nous, le problème actuel" (7, p. 514). Henri Ey souligne bien
que le problème posé est celui de l'actualisation du fantasme
inconscient. Freud disait à propos du déclenchement de la
crise mélancolique que le sujet n'est pas sans savoir "qui
il a perdu mais non ce qu'il a perdu en cette personne" (10, p. 149). C'est
souligner une nouvelle fois qu'il s'agit bien d'une perte subjective, mais
qu'en plus cette perte est inconsciente, fantasmatique. Le fantasme étant
"la re-présentation et la représentation d'une scène
imaginée et imaginaire, dans laquelle la personne occupe le centre
du scénario au moment critique où se joue sa destinée"
(28).
Dans la théorie lacanienne, le déclenchement
est le drame central de la vie d'un sujet qu'à un moment donné
rentre dans la psychose. En un sens, c'est une rupture permettant d'opposer
ce qui jusque là avait un sens et le monde hors sens. En un autre
sens c'est un moment de conclure, un point de conclusion d'un vaste processus
(25). De ce fait, le moment du déclenchement résumerait la
question essentielle du drame subjectif, sur lequel Lacan demandait qu'on
pose toute notre attention. Castanet et De Georges se livrent à
un aggiornamento sur l'élaboration théorique de la
clinique et souhaitent une mise à jour du concept canonique de déclenchement.
Ils affirment que toute psychose n'implique pas un déclenchement
irréversible, ce qui est le cas de la mélancolie. Ils avancent
le terme de suppléance intercritique, caractérisée
par une suridentification aux rôles sociaux, ce qui d'après
les auteurs, était démontré par Tellenbach avec la
description du Typus Melancolicus. (4).
L'intérêt de la question
Alors, qu'est-ce qui justifie le trajet
théorique que nous venons de réaliser? Il ne s'agit pas pour
nous d'une question bizantine, mais une question essentielle du point de
vue du thérapeute, c'est-à-dire celui qui prend la place
de soignant envers un être humain malade. Autrement dit celui qui
a à traiter un cas particulier à jamais irréductible
à un universel. Nous avons vu d'un côté le démantèlement
de la notion de folie maniaque-dépressive, vers une clinique des
affects, et ensuite à l'œuvre une subtil dialectique pour glisser
de l'affect "expression extériorisée de l'état
émotionnel actuel", à l'humeur "l'état émotionnel
interne dans lequel vit une personne", qui conduit à donner la priorité
de l'interne sur l'externe, de l'endogène sur le réactionnel
(17). Ce qui nous mène fatalement à ce qu'Henri Ey appelait
"l'erreur qui est contenue dans la théorie "thymique" de la maladie
considérée comme un trouble pour ainsi dire mécanique
de l'humeur" (5, p. 86). Malgré le fait que la plupart des auteurs
insistent sur le fait de sa rareté (20, 21, 29, 35), on aboutit,
par un obscur platonisme (Note 1), à la description de la forme
dite "pure" ou "typique". Du même coup le concret des "cas particuliers"
ou "la pratique clinique", sorte de monde sublunaire, devient une dégradation
de cette autre réalité "plus vraie que vraie", car, il est
habituel de constater que nos patients n'ont pas lu les DSM…
A ce trouble "pure", mécanique,
il est facile de répondre par des schémas ou protocoles thérapeutiques,
dont on ne saurait nier une certaine utilité. Mais nous allons voire
à partir du cas que nous présentons, comment la marge
de liberté du sujet peut déjouer tout protocole réputé
thérapeutique, et nécessite d'une prise en compte de sa particularité
radicale comme une question préliminaire à tout traitement
possible de sa psychose. Et c'est se situer à l'opposé d'une
démarche objectivante qui destitue le statut du sujet.
Le "cas" de Lucette
Dans cette présentation, nous allons
opposer d'un côté des documents des hospitalisations précédentes,
et ensuite l'historisation qu'en fait la patiente elle-même de sa
maladie. C'est l'histoire d'une femme aujourd'hui âgée de
76 ans
La première hospitalisation dans
notre service en avril 92 intervient lors d'un changement de secteur, mais
Lucette a été hospitalisée à plusieurs reprises
dans d'autres établissements. Elle arrive transférée
du service de neurologie où elle était hospitalisée
pour un syndrome confusionnel (désorientation temporo-spatiale,
perplexité anxieuse et symptomatologie dépressive) évoluant
depuis 3 ou 4 mois, et alors que la patiente a arrêté tout
traitement. Aucun élément organique n'est retrouvé.
Par contre il existe des idées de ruine et d'autodépréciation:
"je ne suis rien, je suis foutue, je perds la raison…" et la conviction
que ses pensées et ses souvenirs sont erronés. Les circonstances
d'apparition de l'épisode ne sont pas consignés. La patiente
est traitée par Tégrétol et Ludiomil.
La deuxième hospitalisation intervient
en septembre 92 pour épisode mélancolique. La patiente se
dit "gazifiée": "il faut évacuer la résidence, le
gaz a pénétré dans ma peau". La patiente signale "je
n'ai aucun projet et cela m'inquiète". Aucune circonstance déclenchante
n'est signalée hormis le fait d'une interruption du traitement médicamenteux.
Troisième hospitalisation en juin
93 lorsque la patiente a arrêté son traitement lui préférant
l'homéopathie. Quelques semaines avant l'hospitalisation elle vit
recluse chez elle, aboulique et apragmatique. Il est signalé un
vécu de catastrophe et des idées persécutives: "vous
allez m'empoisonner avec vos médicaments; je vais finir ma vie ici…".
Après un mois d'hospitalisation, Lucette sort améliorée
pour partir en vacances avec son fils.
En décembre 93 a lieu une réhospitalisation
après rupture de suivi et traitement. Depuis plusieurs semaines
Lucette manifeste des idées d'empoisonnement centrées sur
son traitement, et idées d'exsanguination. Elle présente
un syndrome de dépersonnalisation, des doutes concernant son identité
avec sentiment de vide intérieur, parle d'elle même se référant
à "Lucette et l'autre"; et de déréalisation: doute
de l'identité des personnes qui l'entourent et de la réalité
des objets. L'absence de réponse à son traitement habituel
(Ludiomil) conduit à un changement d'antidépresseur, et une
hépatite cytolytique entraîne l'interruption de son thymorrégulateur.
Pendant cette longue hospitalisation (6 mois), un virage de l'humeur est
constaté alors que la patiente est traitée par une association
d'antidépresseurs (Prozac et Athymil). Il est alors débuté
une lithiothérapie.
Une nouvelle hospitalisation a lieu en
octobre 95, après plusieurs mois d'interruption de traitement et
de suivi. Lucette manifeste alors des idées d'incurabilité,
de sentiments que "l'environnement est inquiétant… il n'existe plus
rien". Il est alors consigné un différend entre Lucette et
les soignants. Ceux-ci considèrent satisfaisante le rétablissement
de la patiente, mais celle-ci ne se trouve pas bien. La lithiothérapie
est interrompue du fait de l'inobservance de la patiente. A sa sortie,
Lucette reçoit régulièrement l'équipe de visites
à domicile. La patiente est réhospitalisée encore
une fois en avril 96.
En Janvier 98 pendant une nouvelle hospitalisation,
le fils de Lucette prend contact avec l'équipe et explique que,
comme à chaque fois, la rechute se produit lorsque lui et sa famille
partent en vacances, et Lucette reste seule sans pouvoir s'occuper de sa
petite fille, ce qui est perçu comme très valorisant par
l'entourage. Dans le service elle se montre négativiste, manifestant
une certaine agressivité envers les soignants et refuse toute aide
qu'on puisse lui apporter.
En juillet 98 alors que Lucette est suivie
régulièrement par l'équipe de visites à domicile,
à l'occasion d'une interruption imprévue, elle pense "qu'elle
n'est pas une malade intéressante" et arrête son traitement.
Un épisode hypomaniaque entraîne alors une nouvelle hospitalisation.
En même temps, son fils prépare un départ en vacances
dans le village d'où elle est originaire, car il va y avoir une
fête très importante dans la famille. L'hospitalisation rend
impossible la participation de Lucette à la fête, car le fils
dit qu'il ne peut pas l'amener dans cet état. Après coup,
Lucette va rejeter la faute sur sa dentiste qui ne lui a pas fait à
temps sa prothèse…
En novembre de la même année,
Lucette se rend dans son village où elle est attendue chez sa belle-sœur,
mais lorsqu'elle arrive à la gare et du premier coup d'œil ne voit
personne, éprouve un sentiment d'abandon, et va passer tout son
séjour au lit ayant tout le temps l'impression qu'on ne s'occupe
pas bien d'elle. Dès son retour au domicile, elle arrête tout
traitement et l'équipe de visites à domicile décide
de l'hospitalisation. Dans le service elle va montrer essentiellement une
grande inhibition, des idées d'incurabilité.
Après cette hospitalisation intervient
le déménagement de son fils qui s'éloigne du domicile
de Lucette. Elle se plaint amèrement de le voir très irrégulièrement.
Un nouvel épisode se produit à l'occasion de la fête
d'anniversaire de sa petite fille, fête à laquelle elle n'est
pas présente. Décide alors d'arrêter son traitement
et sombre dans un état mélancolique. Pendant l'hospitalisation
Lucette va montrer des signes de dépersonnalisation: "je ne sais
plus qui je suis, Qui est Lucette?; Je n'ai plus de fils ni de petite fille".
Après un mois d'hospitalisation et la reprise du traitement, Lucette
peut retourner chez elle. Nous pouvons noter à chaque fois une assez
bonne réponse aux traitements instaurés.
Ce cas nous paraît assez illustratif
de la diversité concrète de la clinique: épisodes
confusionnels, épisodes délirants congurents et non congruents,
épisodes "simples", et personne ne doute sur le diagnostic: folie
maniaque-dépressive. Mais, comme dit Minkowski, "avec le diagnostic
l'analyse clinique ne fait que commencer" (30).
L'historisation de Lucette
Si nous voulons maintenant aborder ce problème
dans sa particularité radicale, car nous pensons que la clé
de son traitement passe par là, donnons la parole à Lucette,
car comme le dit Lacan "L'histoire n'est pas le passé. L'histoire
est le passé pour autant qu'il est historisé dans le présent
- historisé dans le présent parce qu'il a été
vécu dans le passé" (22, p. 19). Et Lacan rajoute, "Le centre
de gravité du sujet est cette synthèse présente du
passé qu'on appelle l'histoire" (22, p. 46). C'est pourquoi le déclenchement
n'est pas un life event, mais une causalité du sujet.
Lucette nous raconte qu'elle est la deuxième
d'une fratrie de quatre enfants, "des hommes terriens" originaires d'un
région montagneuse. Sa mère et son père ne s’entendaient
pas bien. "Ma mère était petite, elle a fait cinq enfants…
c’est trop pour quelqu’un aussi petit". "Ma mère faisait des dépressions,
car elle ne s’entendait pas bien avec mon père", décrit comme
"gaillard, assez violent" frappant sa mère, et aussi ses enfants.
"Du fait qu’elle était "comme absente", c’est ma grande mère
maternelle qui s’occupait de nous". "Elle faisait des dépressions,
je le pense aujourd’hui au vu de ce que je fais, et qui sont "des dépressions";
ça doit avoir un rapport".
Lucette avait une sœur âgée
de deux ans de plus qu’elle, à laquelle elle était attachée
et qui était la préférée du père. "Ma
sœur aînée était un garçon manqué. C’était
elle qui partait avec mon père travailler à la ferme. Elle
était pleine de santé alors que j’étais chétive,
je faisais des rhumes, ma mère me mettait des compresses sur la
gorge".
"Ma sœur a été tuée
lorsqu’elle avait 16 ans à la ferme. Sa tête a été
écrasée par une charrette qu’elle conduisait, le bœuf lui
a marché sur le pied et elle est tombée en arrière
et sa tête a été écrasée par le fer de
la roue… Elle criait maman... On lui a mis un bandeau autour de sa tête
comme une religieuse, j’étais à l’école. Ça
a été une grande perte car elle travaillait beaucoup".
Lucette se marie une première fois
avec un homme "paresseux et oisif" pour qui elle a eu le coup de foudre,
mais qui la trompait et qui la quitta au bout de cinq ans de mariage: "Ce
sont toujours les hommes qui me quittent". De ce mariage, il n’y eut pas
d’enfant. Elle se marie une deuxième fois: "J’ai retrouvé
mon deuxième mari dans un bal, j’étais dix ans plus grande
que lui, il m’avait menti, j’avais trente sept ans". De ce mariage, elle
a eu un fils et elle suit son mari qui est muté en région
parisienne.
"Ma première tentative de suicide
c’était en 72, j’avais 47 ans, je ne me sentais pas bien, car je
ne m’entendais pas avec mon mari. Il travaillait et sortait beaucoup sans
moi. Un jour mon fils était parti en colonie de vacances, mon mari
était parti travailler; je me sentais seule. J’étais nue
dans la baignoire et j’ai essayé avec un couteau de me trancher
la gorge… Ça saignait de partout. Mon mari m’a trouvé et
m’a sauvé, sinon j’aurais pu mourir ".
Quelque temps après ses premières
hospitalisations en psychiatrie, Lucette divorce une deuxième fois
(c’est son mari qui la quitte). Là, elle a eu l’impression de se
retrouver sans rien. Lucette était laborantine lorsqu’elle était
dans le Sud, mais lorsque son mari a été muté en banlieue
parisienne, elle n’en avait pas recherché d’autre, se consacrant
à son fils
S'ensuivent des très nombreuses
rechutes, avec un caractère qu'on pourrait appeler "saisonnier":
à chaque départ en vacances de son fils. "Qu'est-ce qui fait
une montagnarde toute seule dans cette région parisienne?", c'est
sa question.
Alors son récit éclaire son
"histoire psychiatrique", et il nous est facile alors repérer la
surdétermination des "conjonctures signifiantes" où nécessité
et hasard se retrouvent. Lacan trouvait dans la défénestration
du mélancolique un tentative de traversée de l'image, exemple
même de l'impulsion à rejoindre l'être: "Comme cet objet
a est d'habitude masqué derrière l'image du narcissisme,
c'est là ce qui nécessite pour le mélancolique de
passer au travers de sa propre image, de pouvoir atteindre cet objet a
dont la commande lui échappe, dont la chute l'entraînera dans
la précipitation suicide" (Lacan, Séminaire sur L'Angoisse,
cité par Laurent 24). Le choix de l'égorgement chez Lucette
se trouve, peut être, surdéterminé par les compresses
que sa mère lui posait lorsqu'elle était malade, ou bien
par "le fer" qui tue sa sœur à qui on lui posait aussi un bandeau
autour de la tête. Le délire d'exsanguination pourrait se
rapporter à cet événement, et sans doute au fantasme
qu'elle met en scène dans sa baignoire.
L'hospitalisation présente se déroule
selon "un pattern" assez habituel chez elle: quelque chose de la réalité
montre une faille, quelque chose n'est pas là où elle l'attend,
et elle se sent lachée, laissée tomber en plan et elle arrête
son traitement. "Dans mon immeuble je n’arrive pas à me faire des
amies, je suis seule; je ne vois pas souvent mon fils; je n’arrive pas
à sortir. Quand j’arrête mon traitement je le fais volontairement,
je me dis qu'il faudrait que j’aille prendre mon traitement, mais je ne
veux pas; je me laisse "enterrer" progressivement". Alors, Lucette rejette
l'Autre: ne croît plus en Dieu, ni dans les médicaments, ni
dans les soignants, ni dans son nom propre. C'est cette conjoncture, qui
est déjà un déclenchement, qui provoque "l'inobservance"
du traitement. L'une des première choses qu'elle retrouve lors de
ses améliorations est la foi en Dieu, l'envie de se rendre à
Lourdes, et la "promesse" faite aux soignants qu'elle va prendre son traitement.
Les éléments non congruents
ou incompréhensibles retrouvent le texte qui les ordonne et lui
donnent sens: l'incroyance dans l'Autre, dans la figure de cette mère
absente avec laquelle elle se retrouve dans "la dépression", présence
et absence frappés d'inertie dialectique, car comme elle dit "ça
doit avoir un rapport". Et c'est cette incroyance fondamentale qu'est l'obstacle
majeur à sa prise en charge, car toute contrariété
fortuite est vécue comme une preuve du laisser tomber par l'Autre.
C'est donc sur ce plan que doit pivoter la prise en charge.
Du point de vue de l'identification, c'est
son rôle sociale qui lui sert de prothèse, de suppléance
intercritique, son être n'a de place qu'en tant que mère:
"Presque tout ce que je fais, je le fais à partir de mon fils. Je
lui téléphone presque tous les jours. Je vais avec lui pour
m’acheter des vêtements. Je suis ses conseils pour tout. Mon fils
est comme moi: quand on ne va pas bien, on n’a rien à se dire. Maintenant
c’est ma petite fille qui prend cette place… si elle savait de quoi elle
est investie…" . Sur ce point, l'accompagnement thérapeutique se
doit de lui proposer de démultiplier les objets d'investissement
afin de lui laisser des points d'accrochage lorsque les autres sont défaillants,
comme le dit Giudicelli "le collectif soignant en tant que surface apte
à supporter le transfert multifocal en points d'ancrage symbolique"
(11). Evidemment, ce n'est pas tâche facile puisqu'après tout
c'est elle qui choisi. En un certain sens, le travail ne fait que commencer…
Le traitement doit s'adapter à ses délicates particularités
au lieu de se rigidifier sur un protocole. La compliance au traitement
ne se fait pas en détriment de la relation thérapeutique,
bien le contraire. Il n'y a pas de fatalité mécanique pour
ses rechutes: un travail préventif doit être tenté.
Tels sont les enseignements que nous tirons de son cas.
Conclusion
Nos propos sont guidés par le sentiment
que l'hégémonie d'une dimension du soin psychiatrique, avec
ses développements statistiques, biologiques, pharmacologiques,
accompagnés de nombreux glissements sémantiques et conceptuels
impliquant un assèchement clinique, se font en détriment
de la qualité des soins proposés, et de la vérité
scientifique elle-même. La maîtrise comptable de soins d'un
côté, l'expansion de l'industrie pharmaceutique de l'autre
constituent une tenaille où les sujets risquent d'être asfixiés
(les malades et les soignants à la même enseigne!). Quelle
pourrait être la réponse aujourd'hui à la question
que posait Szasz …pour qui travaille le psychiatre?
Le trésor clinique patiemment construit
doit nous servir de boussole et nous rappeler que la psychiatrie a une
histoire, que celle-ci ne s'est pas arrêté aujourd'hui, et
que nos concepts "modernes" sont tout entiers soumis à cette même
loi de relativité historique. Cette même histoire nous montre
régulièrement que les liens entre psychiatrie et philosophie
sont consubstantiels, ce qui nous donne le droit d'interroger au nom de
quoi se forgent les concepts, même les plus "athéoriques".
A ce propos, Tatossian signale que poser
la question de façon à se river sur le seul problème
de déterminer où passe la "vraie" frontière qui est
présupposé exister entre psychoses affectives et psychoses
schizophréniques nécessite l'acceptation implicite mais sans
réserve qu'il existe dans la réalité des entités
nosologiques indépendantes: "Se demander devant un syndrome maniaque
atypique s'il s'agit d'une manie ou d'une schizophrénie maniforme,
c'est négliger qu'il n'est présentement peut-être ni
l'un ni l'autre mais peut devenir l'un ou l'autre, selon ce que nous ferons,
le malade et nous, de ce qu'il vit" (36). Ainsi paraphrasant très
légèrement Henri Ey, l'essentiel pour le Médecin qui
a la responsabilité du drame que représente toujours la maladie
mentale authentiquement diagnostiquée et raisonnablement pronostiquée,
ce n'est pas d'observer mais d'agir (8, p. 278), ce qui nous permet enfin
de dépasser Kraepelin.
Revisiter les classiques, interroger avec
eux nos concepts, les mettre au service des "bonnes pratiques", replacer
l'être humain malade au sein de notre dispositif de soins, c'est
notre tâche aujourd'hui. Nous rappeler ce que disait Ey: se placer
"dans une perspective thérapeutique qui exclut tout choix ou tout
refus systématique d'une méthode exclusivement psychologique
ou physique" (8, p. 274).
Note
Ces mots de Gould s'appliquent
parfaitement à notre sujet: "Ce platonisme persistant explique selon
moi l'inversion désastreuse si souvent appliquée aux moyennes
que nous calculons. Dans le monde postplatonicien de Darwin, la variation
est la réalité fondamentale et les moyennes calculées
deviennent des abstractions. Or nous privilégions toujours l'ancien
point de vue et considérons que les variations ne forment qu'un
ensemble
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