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LA
CRITIQUE DU DELIRE ET LE SECRETAIRE DE L'ALIENE |
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Notre séminaire cette année s'est déroulé sur le thème de la critique du délire. Cette formulation si commune dans nos échanges professionnels nous a placé en grande difficulté quand il s'est agit de rechercher des écrits théoriques s'y rapportant. Il existe un grand silence sur cette question dans la littérature psychiatrique.
Même le manuel psychiatrique et les études d'Henry Ey ne font pas référence à ce concept "critique du délire". On y trouve seulement dans les critères positifs de la bouffée délirante, la notion de "perplexité critique à l'égard du délire". Mais il s'agit de phénomènes aigus dont la réversibilité est inhérente à la définition.
Critique du délire, c'est plutôt souvent un terme de certificats légaux dans le cadre des hospitalisations sous contraintes. C'est cette adresse au préfet : "Vous pouvez abroger le placement, le patient critique son délire." Mais y croit-on vraiment? N'y a t-il pas là dedans un degré de mensonge, de convention convenue un peu comme dans les jeux d'enfants : "on aurait dit que", mais on sait que la réalité est plus complexe.
C'est paradoxalement du côté des psychanalystes que j'ai trouvé des références. Jean Allouch utilise cette formulation pour mettre en garde contre le fait, je cite : "de suggérer au patient d'entrer dans le jeu de la critique du délire". Il est évident que si l'on conçoit le traitement de la psychose sur cette base , on perpétue ce que Schreber nommait " assassinat d'âme ".
Obtenir ce que l'on cherche par cette suggestion ne signifie pour autant qu'il y a travail psychique d'élaboration où d'historisation. C'est à dire permettre au patient de resituer, de réarticuler les éléments du délire dans son histoire singulière. C'est un peu comme si l'on disait chez un mélancolique que la critique d'un geste suicidaire suffisait à considérer qu'un travail de deuil est engagé.
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Paradoxe à parler de critique du delire
En effet la définition même du délire comprend l'incapacité à rectifier. Alors il y aurait une certaine antinomie à parler de critique du délire.
Falret en 1864 écrit : "ni les hallucinations les plus bizarres, ni les écarts d'imagination les plus étranges , ne constituent le délire, si le sujet qui les éprouve est néanmoins capable de rectifier ses sensations... il n'y a pas de délire par ce seul fait que l'on s'aperçoit de son erreur".
Donc la définition du délire comprend l'adhésion sans réserve du sujet et la conviction inébranlable selon les termes des aliénistes.
Là où le névrosé est dans le doute, le psychotique est dans la certitude.
Jaspers retient dans les critères de définition "l'imperméabilité à l'expérience et aux réfutations logiques". Donc nous constatons une certaine antinomie dans l'idée de critique du délire.
Sérieux et Capgras écrivaient: "toute discussion avec l'interprétateur reste donc vaine, elle irrite souvent, elle ne persuade jamais".
Allouch en conclut la chose suivante: "A soit seul ce constat devrait suffire à écarter comme vaine la notion de critique du délire".
Nous avons appris Kraepelin pour la paranoïa: "système délirant durable et impossible à ébranler". Mais faut-il chercher à ébranler un psychotique qui déjà lutte contre le chaos intérieur ?
Nous constatons tous que certains psychotiques quelque part ont une certaine idée que tout cela est délirant. Ce qui est impossible pour eux, c'est de le reconnaître car cela serait concéder à la jouissance de l'Autre là où justement pour eux se situe le problème.
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Le délire comme autoguérison
Mon objectif est de souligner que suggérer cette critique du délire est antinomique avec le fait même que pour Freud, le délire représente une tentative d'auto guérison ce que Lacan reformulera.
C'est la conclusion à laquelle arrive Freud dans son travail de 1911 sur le cas du Pésident Schreber. Il écrit: "et le paranoïaque rebâtit l'univers, non pas à la vérité plus splendide, mais du moins tel qu'il puisse de nouveau y vivre . Il le rebâtit au moyen de son travail délirant. Ce que nous prenons pour une production morbide, la formation du délire , est en réalité une tentative de guérison, une reconstruction".
C'est après son travail sur le refoulement chez les névrosés que Freud a considéré que le délire paranoïaque avait un but :tenter de renouer les rapports du sujet à la réalité et diminuer l'angoisse. Alors pourquoi voudrait-on amener le patient à critiquer ce qui représente pour lui un travail pour tenter de survivre. Freud parle du délire en terme de: "pièce appliquée sur une déchirure "
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Le cas du Président Schreber
Je vais effectuer un bref trajet dans ce cas puisque c'est le modèle pour Freud de la fonction défensive et d'auto guérison du délire. En 1893, Scherber fait l'objet d'une promotion exceptionnelle. Il est porté à la présidence de la Cour Suprême du Land de Dresde. Il rencontre le Ministre de la justice qui lui notifie sa nomination. Il s'agit d'une position d'exception dans cette nomination plus rapide que la procédure habituelle. Il devient celui qui jugeait de l'évolution de la loi dans l'Etat Saxe. Il se retrouve en demeure de diriger des hommes plus âgés que lui dans un moment où il ne parvenait pas à devenir père et s'en inquiétait. Cet appel à une fonction paternelle révélait l'absence d'inscription de cette fonction. Cette situation a fait déclenchement de la crise psychotique de par le vide qui régnait en ce lieu où il devait justement prendre appui. A défaut d'être inscrit dans la signification phallique le psychotique se fait la femme de Dieu.
C'est au cours d'un état oniroïde provoqué par l'injection de sédatif par le professeur Flechsig que Schreber présente cette première idée formulée ainsi : "qu'il serait bon d'être une femme en train de subir l'acte sexuel". Freud dira que le délire, qui va s'enrichir après dans sa fonction d'auto-guérison, sert à rendre acceptable la transformation en femme. Cet exemple clinique permet d'illustrer ce que signifierait le fait de tenter d'abraser et d'obtenir une critique d'un délire qui a une fonction de suppléance et qui permet de rendre acceptable.
On peut dire que ce serait mettre un peu plus le patient face au gouffre, face à la béance symbolique. C'est utiliser une parole symbolique qui prétend prendre appui sur un lieu vide. C'est à dire renouveler l'appel qui à fait déclenchement.
L'injection que fit le Professeur Flechsig est contingente des idées de persécution qui sont apparues chez Schreber. Il appelait le Professeur "assassin d'âme". A noter que la femme de Schreber qui avait été très reconnaissante au Professeur d'avoir guéri le premier accès hypocondriaque de son mari avait sur son bureau le portrait du Professeur. L'injection endormante pratiquée par ce personnage en place paternelle réduisait la puissance de Schreber là où il eut fallu l'entendre dans son doute et le vacillement de son identité. Après est apparue cette idée que Dieu voulait le transformer en femme.
Cette idée étant inacceptable, le mécanisme défensif par la construction délirante a attribué à Dieu toute cette persécution (Dieu inférieur et supérieur- Ahriman et Ormudz qui préfère les peuples aux cheveux blonds référence aux Aryens).
Moi, je compare cette injection endormante à ce que serait de notre part le fait d'extorquer au patient une soi disant critique du délire. Dans ce cas, il est maintenant connu que le père de Schreber était un fou mais distingué et reconnu par la société. Il était un sadique pédagogue qui a écrit des manuels éducatifs et réalisé des méthode coercitives pour l'éducation des enfants. On peut parler de délirant et surtout de délire à deux dans les effets sur le fils. Le délire de ce dernier met en scène le délire du père. Les idées du père qui feront le lit du nazisme avec ces histoires de peuple supérieur se retrouve dans la fantasmagorie délirante du fils. Dans une situation clinique comme celle ci il eut fallu aider le fils à construire une critique du délire paternel plutôt que de l'endormir.
Freud a eu le mérite d'évoquer la fonction d'auto- guérison du délire mais il reste un peu trop fasciné par le père pour écrire que ce dernier faisait des efforts pour, je cite: "développer harmonieusement la jeunesse".
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Lacan
Pour Lacan aussi, le délire est compris comme phénomène d'auto-guérison même si la théorisation est différente. Par le délire le sujet psychotique tente de construire pour lui-même une signification qui ne lui est pas garantie par une filiation symbolique (le cas Schreber en est une belle illustration). Dans la décompensation psychotique, il se produit des chamboulements dans l'usage des signifiants jusqu'à certaine autonomie du signifiant. Ceci est majeure dans les troubles schizophasiques.
Lacan considère alors que: " la cascade des remaniements signifiants se stabilise dans la métaphore délirante ". Le délire en tant que métaphore délirante vient suppléer à la métaphore paternelle, stabilisant sous une forme inédite signifiant et signifié. Donc la encore, le délire à une fonction de stabilisation donc axer la thérapie sur la critique du délire c'est en méconnaître la fonction. Pour en connaître la fonction, il faut rappeler les conditions de la décompensation.
Dans le déclenchement de la crise psychotique, un appel se produit chez un sujet se soutenant dans l'autre par une identification exclusivement imaginaire. Cette injonction faite au sujet psychotique de se référer à un ancrage central paternel, peut provoquer du fait de la carence du signifiant en mesure de garantir cet ancrage ,l'écroulement de l'équilibre. La forclusion de la fonction du Nom du père n'apparaît en tant que forclusion que lors du déclenchement de la crise. Elle ne peut se déchiffrer que dans ses effets. C'est comme un livre manquant dans la bibliothèque . Son absence n'est pas visible jusqu'au jour où l'on veut s'appuyer sur son contenu.
Deux exemples cliniques ont été développés d'actes homicides en rapport avec une activité délirante. Dans ces deux cas il y a eu critique de l'acte mais pas du délire. Le premier en convient, "on doit pouvoir se contrôler "; C'est le registre du "j'aurais pas dû". Ces deux commentaires sont assez plaqués.
La deuxième en convient "quand je délirais" mais l'imparfait ne suffit pas à parler de critique du délire. Il a toujours été trop essentiel à une survie dans des conditions affectives et familiales délétères. Ce délire est le ciment du bâti de la personnalité.
C'est cette histoire qu'il faut faire advenir pour que le patient s'en fasse sujet. Alors peut être aura t-il moins besoin du délire pour faire tenir les bouts. Mais il faut travailler autrement que dans une référence à l'idée de critique du délire.
Donc le délire a cette fonction de " guérison "que Freud avait noté dans la mesure où il parvient à lier ce désordre des objets (a). On voit bien comment les objets partiels que sont la voix, le regard, la bouche, comment ces objets sont liés par le tissage du délire. Lacan en vient à considérer que le délire a une fonction "d'objet a". En ce sens le psychotique entretien avec son délire le même rapport que le névrosé a avec son objet dans le fantasme .
C'est un peu ce que Freud semble dire lorsqu'il écrit à Fliess "ils aiment leur délire comme eux-mêmes". Comment un psychotique pourrait critiquer ce qui lie le désordre ?
Voici ce qu'écrit Allouch : "la dépersonnalisation n'est pas la déconstruction d'une personnalité mais le résultat de l'avortement du procès de personnaison. En provoquant non pas la jubilation mais l'angoisse, ce qui apparaît dans le miroir n'est pas proposable à la reconnaissance de l'Autre. Ainsi, l'Autre en vient-il avec cette tentative de guérison qu'est le délire, à être, lui personnalisé". Là encore, il y a comme une impasse a parler de critique du délire quand celui ci occupe une telle fonction de raboutage. Une critique supposerait que le psychotique reconnaisse que c'est lui qui parle en tant que sujet et qu'il assume les paroles qu'il prononce. C'est loin d'être le cas. Bien souvent "ça parle". Il ne se reconnaît pas comme sujet de ce qu'il dit. Il ne parvient pas à situer sa parole vis à vis du référent symbolique qui est le grand Autre.
Le sujet pour advenir comme parlant doit effectuer ce qu'on appelle le refoulement originaire. C'est à dire qu'il doit oublier qu'il n'est émetteur de la parole que parce qu'il est préalablement récepteur de cette parole qui lui vient de l'Autre. Dans l'hallucination, le sujet qui n'a pu réaliser cette opération d'oubli est réduit à se vivre comme pur récepteur d'un Aautre inoubliable. De la même façon que pour écrire, il faut une page blanche, il faut pour parler un oubli, un blanc, un silence absolu de l'Autre. Le psychotique se présente comme d'abord récepteur. Il est perpétuellement à l'écoute, littéralement suspendu au monologue intérieur. Nous ne sommes pas psychotiques parce nous supportons qu'il y a de la parole non significative. Ca rentre par une oreille et ça ressort.
Pour le psychotique , tout signifiant a pour fonction de signifier et non de servir de relais vers un autre signifiant ce qui est son rôle normal. Pour pouvoir parler de critique , il faudrait que ce relais qu'est le signifiant se trouve fonctionnel .
Or souvent, tout se met à signifier dans la psychose. Tout ce qui est de l'ordre du signifiant se trouve chargé de signification.(le regard, le geste etc.). C'est une présence universelle de la signification. Comment alors imaginer que le délire puisse avoir fonction de signifiant pour permettre une éventuelle critique. Signifiant, qu'est ce que ça signifie? ça veut dire représenter un sujet pour un autre signifiant. Nul signifiant ne peut être considéré comme ayant une portée univoque. Bien souvent le délire a cette portée univoque.
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Transfert dans la psychose
Comment cette question de la critique du délire s'insère dans la particularité du transfert dans la psychose? Comprendre la spécificité de ce transfert rend encore plus caduque la suggestion d'une telle critique. Bien entendu, il ne s'agit pas de suggérer au risque de renouer avec ce qu'il en était du traitement moral de la folie. Cependant le type de référence théorique à une incidence dans la conduite du travail et du transfert. Nous savons que Freud pensait ce transfert impossible, même si parallèlement, il a souligné le rôle du transfert de Schreber à Flechsig. Nous pouvons dire que Schreber a posé transférentiellement une érotomanie divine. Freud disait: "les psychotiques sont trop différents de moi". Faut-il qu'un patient soit comme son thérapeute? L'hypothèse de Freud quant au délire persécutif était la défense de Schreber contre l'homosexualité et nous savons que la question n'était pas de cette nature mais du côté d'une fonction paternelle et du signifiant de la procréation forclos.
Donc Freud a écrit, mais peu pris en charge les psychotiques. Il faut relativiser car les médicaments antipsychotiques n'existant pas à l'époque, il devait être difficile de faire un tel travail. Quelques thérapeutes pionniers s'y sont risqués avec des théories discutables.
Citons Federn avec l'idée égopsychologiste de renforcement du Moi car le délire est vu comme baisse d'investissement de ce MOI. Citons Katan avec cette idée de prendre appui sur la dite partie saine du Moi. Alors oui, dans une telle conception, suggérer la critique du délire peut prendre place. C'est travailler bien loin de la notion de structure psychotique. D'autre thérapeutes utilisent des idées de régression empruntées à la théorie psychanalytique des névroses.
C'est le cas de John Rosen. Il y a l'idée de frustration orale donc d'une thérapie conçue comme réparation , protectrice et aimante.
Il propose tout de même une interprétation immédiate. Je le cite: "Même si l'interprétation ne semble pas impressionner le malade, vous verrez qu'en persistant à le mettre en face de la réalité en démasquant ses symptômes, il lui sera de plus en plus difficile de défendre sa psychose". On est là en pleine injonction. Il ne s'agit même plus de suggérer la critique du délire . Mais c'était les années 1950.
D'autres thérapeutes tentent une rencontre orale avec le patient, pensons à Sechehaye. Dans la période de l'antipsychiatrie, non seulement la critique du délire est déplacée mais on accompagne le patient dans sa régression quitte à délirer avec lui.
Mais revenons à une situation plus actuelle. Pour qu'il y ait transfert, il faut que le patient pose le sujet supposé savoir. C'est à dire qu'il s'adresse à quelqu'un où il suppose un savoir. Pour le névrosé, ce sujet ne sera que supposé. Pour le psychotique ce sujet supposé savoir apparaît comme un Autre incarné. Par exemple, le paranoïaque subjective l'Autre comme détenteur d'un savoir absolu. La paranoïa disait Lacan est un excès de rigueur. Pour le psychotique, le transfert n'est pas simplement symbolique, côté signifiant, il n'est pas non plus imaginaire côté amour , il met en jeu un réel. Dans la névrose, c'est le savoir qu'on suppose au thérapeute qui doit remplir la fonction de semblant d'objet cause du désir. Chez le psychotique, cette place de la vérité est occupée par le réel du savoir. D'où la prudence qui s'impose pour des paroles qui voudraient obtenir une critique. Il est essentiel que le patient sente que notre intérêt se situe plus au niveau de son histoire singulière. Donc il peut y avoir attachement ténu mais pas transfert comme ça fonctionne dans la névrose.
Allouch dit que le névrosé transfert mais que le psychotique pose transférentiellement. C'est le thérapeute qui se trouve en position de transférer. C'est pourquoi Lacan a pu dire que le transfert psychotique est d'abord un transfert au psychotique. Beaucoup de psychotiques posent transférentiellement un Autre incarné dont il se méfie car il représente pour lui un jouisseur absolu. Dans ce contexte, tenter d'extorquer une critique du délire pourrait être vécu que comme une concession à la jouissance de l'Autre. Le psychotique ne supporte pas que le système de pensé du psychiatre vienne fonctionner comme science de son délire et lui voler son brevet d'inventeur de lui même.
Ne lui volons pas cette invention, lui qui a souvent une mère qui exprime que l'origine du sujet ne peut avoir comme cause , ni le désir du couple, ni un plaisir de créer du nouveau qu'elle pourrait reconnaître et valoriser. Il nous faut, ne pas critiquer cette néoformation délirante. Il s'agit plutôt de prendre la fonction de cette voix unique qui assurait au sujet la vérité de son énoncé sur l'origine.
Dans la psychose, un signifiant ne renvoie pas à un autre signifiant. Il y a une inertie non dialectisable. Les paroles imposées viennent du grand Autre non barré où ne peut s'inscrire la division subjective. Lacan dit que l'inconscient est là mais ne fonctionne pas. Il n'y a pas de savoir à être produit. Le savoir du psychotique lui arrive comme déjà constitué. Ce qu'il demande c'est un témoin et non pas un sujet supposé savoir. Donc plutôt que d'insister sur cette critique du délire, que peut-on faire?
Serge Leclaire proposait la chose suivante: "Ajuster nos paroles au niveau d'une juste prudence qui sans participer en rien à la relation délirante imaginaire , sache témoigner d'une subjectivité autonome "tierce" qui peut seule par sa permanence et son indépendance faire revenir le malade à un mode de communication plus ouvert au procès dialectique" .
Donc:
- ajuster (c'est à dire ajuster notre langage au style même du langage psychotique).
- juste prudence.
- participer en rien à la relation délirante.
Or, je pense justement que, insister pour obtenir une critique du délire cela peut être dans certain cas une participation au délire. Pas seulement par rapport à une persécution, mais comme je le disais au début solliciter une fonction qui par structure est défaillante. Le psychotique a répondu par son entrée dans la psychose à la question qui se posait à lui. C'est une solution avant la question. S'il s'agit d'une tentative de solution, il devient d'autant plus aléatoire d'imaginer une critique. Notre rôle sera plutôt de l'aider a mettre en forme cette question.
Il faut qu'au moins un sujet sur la scène du réel (ça peut être l'institution) accepte de reprendre à son compte la fonction et les attributs du porte parole. Il s'agit de fournir au Je un point d'ancrage. Je pense que reprendre à son compte n'est pas strictement compatible avec cette question de critique.
Lacan disait "le délire commence à partir du moment où l'initiative vient de l'Autre". Alors, on a toute raison de se méfier des initiatives. Il s'agira de garder une position de témoin ouvert ,de rapporteur de ce qui vient de l'Autre.
Je cite Lacan: "en somme le psychotique est un témoin, sinon un martyr de l'inconscient, et nous donnons au terme "martyr" son sens qui est celui d'être témoin, ça serait un martyr au sens où il s'agit d'un témoignage ouvert.
Le névrosé est un témoin couvert, il faut aller chercher de quoi il témoigne, il faut le déchiffrer".
Donc avec le psychotique, il ne s'agit pas d'aller chercher ou de déchiffrer. Il ne s'agit pas d'aller déchiffrer pour pouvoir affirmer une critique du délire et la prendre pour guérison . J'ai envie de paraphraser Lacan qui disait pour l'analyse du névrosé, la guérison vient de surcroît. Il voulait dire que l'analyste ne place pas la guérison comme finalité première même s'il y a bien sûr des objectifs de soin. Nous savons qu'il y a des mieux avec conservation du symptôme. Savoir y faire avec son symptôme disait Lacan.
Et bien je dirais que dans la cure du psychotique, la critique vient aussi de surcroît. Beaucoup de psychotiques apprennent à vivre mieux avec leur délire. Il peut y avoir amélioration et non critique du délire. Donc position de témoin. Lacan disait aussi dans son séminaire de 1956 sur les psychoses que nous devons nous faire "secrétaire de l'aliéné". Il disait :"Il faut prendre ce qu'il dit au pied de la lettre, ce qui à la vérité, est justement ce qui jusqu'ici a été considéré comme la chose à éviter". Je pense qu'il faut bien comprendre ceci. Evidemment, au pied de la lettre ne veut pas dire délirer avec lui. Je dirais reformuler dans des termes qui permettent au patient de trouver un ancrage à son dire par la reconnaissance du porte parole. Rendre parlant. C'est aussi garder la formulation délirante avec les mots inventés par le patient même s'ils sont néologismes. La critique de ce délire pourrait constituer une attitude contre transférentielle négative.
Searles écrit dans l'effort pour rendre l'autre fou: "Il est clair que l'amélioration thérapeutique du patient passe par la tentative de dissocier l'analyste, de le faire douter de ses pensées et de ses affects, de l'isoler sensoriellement (phénomène de déprivation) et aussi de lui assigner la place par le jeu des identifications projectives qu'il a occupé et occupe lui- même par rapport aux parents". D'où, tout ce travail institutionnel avec la fonction des réunions. C'est aussi se mettre à transférer au psychotique collectivement. Il faut que les membres de l'institution interpellent le soignant en un point intime pour que le patient soit investi.
Et encore Searles, "l'effort du patient pour rendre fou le thérapeute s'accompagne chez celui-ci soit d'une sorte de compulsion de simulation( que le patient ne manque pas de dénoncer comme fausse), soit d'une rigidification de la neutralité de son rôle qui bloque le malade)".
Simulation, ça pourrait être comme disait Allouch, suggestionner pour entrer dans le jeu de la critique du délire. L'une des rigidification possible peut consister à soutenir l'épreuve de réalité pour entendre une critique du délire. En multipliant les interprétations de ce genre le thérapeute essaie anxieusement de satisfaire les besoins oraux du patient.
Pour conclure, je vais citer encore Searles car j'ai pris du plaisir à relire ces passages. Voici ce qu'il dit: "Le meilleur moyen, finalement de désintoxiquer un patient qui s'est isolé dans un état délirant est pour lui de voir que son thérapeute est capable de se mettre à jouer avec lui de façon délicieusement folle, type de relation que le schizophrène n'a jamais eu l'opportunité de vivre pleinement dans son enfance".
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Bibliographie
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Les psychoses, Bulletin n°27, 1979, L'école freudienne de Paris.