LA CRITIQUE DU DELIRE: INTRODUCTION A LA QUESTION


Eduardo Mahieu
 

LA
NOTION
CHEZ
DES
ALIENISTES
ET
PSYCHIATRES

 
 
 
 


21 décembre 2000
 

Retour vers Séminaire

"Avec la psychanalyse freudienne et lacanienne, avec la phénoménologie et avec le marxisme, le sujet magnifique ou, comme le disait Lacan "increvable", de la pensée classique a vécu" (Tatossian (A.), Famille et institution: le sujet comme enjeu, in Psychiatrie Phénoménologique, Acanthe, Lundbeck, 1997, p. 170).

INTRODUCTION

Ecrit en 1984 par Tatossian, ces propos nous font aujourd'hui sourire, à l'heure où Marx est mort et que la psychanalyse se voit débordée par toutes formes de psychothérapies plus au goût de l'atmosphère de notre temps. Lacan avait raison: le sujet "increvable" est toujours là, véhiculé par le chœur des psychiatres avec la force de la dóxa 1, dans des notions telles comme celle dont nous allons nous occuper maintenant.

La "critique du délire" pose évidemment la question de comprendre ce qu'il en est du sujet chez l'homme délirant. "Une première réponse serait que justement l'homme délirant n'est plus un sujet puisqu'il en a perdu les attributs essentiels que son l'historicité, l'intersubjectivité et la liberté. C'est sans doute pourquoi chez Kant […] la folie fut exclue de la révolution critique. […] Le seul sujet qui intéresse à Kant dans la folie est le sujet psychologique" (Tatossian (A.), Délire, sujet et subjectivité, in Psychiatrie Phénoménologique, Acanthe, Lundbeck, 1997, p. 225-229). Nous verrons quelle rupture s'introduit avec le développement philosophique que fait Hegel de l'œuvre de Pinel.

Qu'entend-on par critique?

La critique est une forme de la pensée rationnelle qui consiste à examiner un autre produit de la pensée afin de le juger et d'en déterminer, en pesant le pour et le contre, la véritable valeur: vrai ou faux, juste ou injuste, laid ou beau.

Dérive du grec krisis, le terme réapparaît au début de 17ème siècle et appartient au domaine de la philosophie. C'est l'œuvre de Kant qui portera la critique à son point d'achèvement. Ce qui le différencie de ses prédécesseurs, c'est que pour lui la critique est un examen du pouvoir de la raison; elle se situe à un niveau fondateur, puisque, critiquant la raison elle-même, elle se propose d'assurer par un mouvement réflexif la légitimité de l'activité rationnelle et critique elle-même, c'est à dire la légitimité des ses propres jugements (Encyclopédie Philosophique Universelle, Les Notions Philosophiques, Presses Universitaires de France, 1990).

De la Critique à l'autocritique. De quelques antécédents: le religieux et le politique

En psychiatrie on devrait parler d'autocritique (comme nous pouvons lire dans l'article écrit par Sutter dans le Dictionnaire de Psychiatrie de Porot). Cette tournure n'est pas sans nous évoquer quelques antécédents malheureux qui mettent un peu de piment à notre sujet.

Pendant L'Inquisition, l’édit dit de grâce adressé aux hérétiques leur donnait un délai de 15 à 30 jours pour se rétracter. Le temps de grâce permettait à celui qui se dénonçait d’éviter les peines les plus graves (en particulier le bûcher), il était "seulement" condamné à des peines canoniques Passé le délai de grâce, l’accusé tombait sous le coup de la justice inquisitoriale, il était d’abord soumis à un interrogatoire musclé visant à entraîner l’aveu, tous les moyens pouvant être utilisés. Ceci, bien entendu, pour "sauver l'âme" du condamné.

Le statut de l'autocritique, avec le stalinisme, ne se limitera pas à l'énoncé de principe. Sous le label de la critique et l'autocritique, Jdanov promeut le concept au rang d'une nouvelle loi de la dialectique. Des militants contraints de s'auto-accuser, "aveux" qui ont pu conduire au lavage de cerveau et même à la peine capitale. Labica concède que la pratique a connu des graves dérèglements, en particulier la confusion entre critique et autocritique qui aboutit curieusement à faire l'autocritique de l'autre (Dictionnaire Critique du Marxisme, sous la direction de G. Labica, Presses Universitaires de France, 1982).

Les facultés humaines: entre psychologie et métaphysique

Impossible d'aborder la dimension psychologique de la critique du délire sans traiter de la question des facultés humaines, comme Thierry Trémine nous l'indique dans son introduction.

C'est à partir du moment où l'on établit certaines "divisions" de l'âme que l'on a proposé ce qui après fut connu comme "la doctrine des facultés de l'âme. C'est ainsi avec les divisions proposées par Platon, Aristote, les stoïciens, etc. Platon distinguait entre la puissance rationnelle, la concupiscible et l'irascible (à peu près équivalentes à raison, désir et volonté). Aristote distinguait en toute âme deux parties fondamentales: la végétative et l'intellective. Plus tard, Saint Augustin le faisait avec la mémoire, l'intelligence et la volonté. Ils furent nombreux les scolastiques à suivre la classification aristotélicienne. Au 17ème la doctrine des facultés de l'âme s'étend au point que pour Ferrater Mora, une bonne partie de l'œuvre de Kant dépend des divisions établies par une telle doctrine (Ferrater Mora (J.), Diccionario de filosofía abreviado, Editorial Sudamericana, 1983).

Le problème soulevé en philosophie par la question des facultés de l'âme conduit à poser le problème de la réalité des facultés de l'âme: si les différentes facultés sont des réalités, comment affirmer l'unité de l'âme? Le problème est alors celui des rapports de l'âme et ses différentes facultés. La réponse scolastique, reprise par le cartésianisme, est nominaliste: seule l'âme est une réalité; les facultés ne sont que des termes désignant ses différentes opérations (le cognitivisme, la neurbiologie et la neurophilosophie apportent au problème des facultés psychologiques une réponse réaliste: cela provient de notre système nerveux central). Pour Descartes "la même force reçoit le nom, conformément à ses diverses fonctions, tantôt d'entendement pur, tantôt d'imagination, tantôt de mémoire; mais à proprement parler, elle s'appelle esprit" (Règles pour la direction de l'esprit XII). Pour Locke, "La Puissance de penser est ce que l'on nomme l'Entendement, et la Puissance de vouloir est ce que l'on nomme la Volonté: deux puissances ou dispositions de l'Ame auxquelles on donne le nom de Facultés". Cette unité fondamentale de l'esprit face à la diversité des facultés semble, d'une certaine manière, remise en cause par Kant. Cependant pour lui, c'est à une troisième faculté, la faculté de juger, ou faculté de "subsumer le particulier sous l'universel", qu'est dévolu le rôle de réunification de ce qui est apparemment séparé (Encyclopédie Philosophique Universelle, Les notions philosophiques, Presses Universitaires de France, 1991).

RAISON ET ENTENDEMENT

La notion d'entendement dans l'usage que l'on fait à partir de l'âge classique, ne se rapporte que très imparfaitement aux notions et distinctions antérieures (ratio, nous, intellectus) et correspond plutôt à l'apparition d'une nouvelle forme d'intelligibilité: la pensée scientifique moderne.

Dans l'œuvre de Descartes la notion d'entendement acquiert pour la première fois son extension maximale. Il la conçoit d'abord comme une faculté, puis comme une "fonction de l'âme". La notion d'entendement paraît s'identifier avec la raison, bon sens ou lumière naturelle. L'entendement est le pouvoir de percevoir la vérité.

L'empirisme classique anglais utilise le mot understanding, qui correspond à une tentative pour élaborer une théorie de la connaissance sans faire intervenir une instance de la pensée à la fois indépendante et déterminée (Locke). La philosophie de Hume va jusqu'à l'extinction de la notion.

Kant envisage d'une façon originale les rapports de la sensibilité et l'entendement. Ces deux facultés se distinguent non pas en degré, mais en nature. L'opération de l'entendement, essentiellement discursive, consiste à subsumer un divers sous une représentation commune. La fonction de celui-ci est donc une fonction de synthèse du divers fourni par la sensibilité: "Si l'entendement peut être défini comme pouvoir de ramener les phénomènes à l'unité au moyen des règles, la raison est le pouvoir de ramener à l'unité les règles de l'entendement" (Critique de la raison pure).

Pour Hegel, l'entendement (Verstand) est moins une faculté particulière, qu'un moment dans le développement de l'esprit. La raison a pour tache de reprendre et surmonter les séparations effectuées par l'entendement. C'est pour cela qu'elle ne peut être que dialectique.

L'ultime figure originale est celle de Bergson. L'intelligence que la terminologie bergsonienne remplace à celui d'entendement, est une faculté d'adaptation, la faculté de créer des objets artificiels, serait d'essence technique. Elle est opposée à l'intuition capable dans la connaissance de l'esprit et de la vie.

DE KANT A HEGEL

"De Kant à Hegel il y a l'espace d'une découverte … Peu de chose … Rien", dit Gladys Swain (Swain (G.), De Kant à Hegel, in Dialogue avec l'insensé, Gallimard, 1994, pp. 1-28), "la découverte d'un reste de raison chez les aliénés et les maniaques" (Hegel).

Kant

Chez Kant "Le seul caractère général de l'aliénation est la perte du sines commun et l'apparition d'une singularité logique (sensus privatus) […] Pour l'exactitude de nos jugements en général et par conséquent pour l'état de santé de notre entendement il est […], subjectivement nécessaire que d'appuyer notre entendement sur celui d'autrui sans nous isoler du notre et de ne pas faire servir nos représentations privées à un jugement en quelque sorte public" (Anthropologie du point de vue pragmatique, cité par Swain). Pour Kant, la "déraison positive" instauratrice de la folie, pose son fondement sans rien devoir à la raison, se fait Autre de la raison. La folie par excellence est celle où s'effectue pleinement le détachement de l'esprit vis-à-vis de l'échelle de l'expérience, sa logique ne doit plus rien à la logique commune; il n'est qu'une nature de l'aliénation: complète. Cet enfermement en soi fonde l'exigence de l'enfermement tout court, selon Swain, et l'étrangeté dernière du fou "est désordre essentiel et incurable". Kant recommande une seule attitude thérapeutique: la simple abstention.

Hegel

Hegel constitue l'exacte antithèse des vues kantiennes: "La folie n'est pas une perte abstraite de la raison" (Encyclopédie des sciences philosophiques, cité par Swain). La folie est pour Hegel un simple dérangement, une simple contradiction 2 à l'intérieur de la raison, laquelle est toujours présente. De par nature, la folie implique conservation de l'être de raison. Hegel attribue à Pinel cette double découverte: "d'avoir découvert ce reste de raison dans les aliénés et les maniaques [et] l'y avoir découvert comme contenant le principe de leur guérison" (Philosophie de l'esprit, cité par Swain). La folie est par conséquent curable de nature, et il y a une adéquation interne de la nature du trouble de l'âme et de l'entreprise visant à le surmonter.

La contradiction typique de la folie pour Hegel, est entre la conscience et une de ses représentations particulières. Cet antagonisme intérieur ce n'est pas seulement celui d'un sujet défaillant et d'un sujet maintenu, c'est aussi celui d'un sujet qui croit en ses fantasmagories et un sujet qui sait la vérité, un sujet divisé entre savoir et croyance.

Reproduisons ici cette longue citation de Hegel capable de nous éclairer:

"La conscience objective des fous se manifeste de plusieurs façons. Par exemple, les fous savent qu'ils sont dans une maison de fous; ils connaissent leurs gardiens; ils savent relativement à leurs compagnons, qu'ils sont aussi des fous; ils plaisantent entre eux de leur folie; on les emploi à toute espèce d'offices, et on va parfois jusqu'à faire des gardiens. Mais en même temps ils rêvent éveillés, et ils sont fixés dans une représentation particulière qui ne saurait s'accorder avec leur conscience objective" (Philosophie de l'esprit, ibid).

La contradiction, nous dit Swain, n'est pas seulement entre les idées délirantes et la réalité; elle l'est entre la part de lui qui garde le contact avec la réalité et la part qui maintient, en dépit de ce qu'il sait par ailleurs, une conception insensée. "Lorsqu'on s'adresse à un fou, dit Hegel, on commence toujours par lui remettre sous les yeux le cercle entier de ses rapports et par lui rappeler sa réalité concrète. Si malgré cela - et bien qu'il ait la conscience du rapport objectif des choses qu'on lui rappelle - il n'en persiste pas moins dans sa fausse représentation, il ne restera pas de doute sur sa folie" (Philosophie de l'esprit, ibid). Dans la folie, le sujet partageant le point de vue de tous, il n'en adhère pas moins radicalement à des conceptions procédant du dedans de lui et en contradiction avec ce qu'il sait du monde objectif. Le sujet se sait divisé et il ressent son partage. Divisé entre la loi du cœur et la vérité, il n'y a ni indécision ni hésitation de sa part: "il croit et il sait en même temps", dit Swain, sans avoir à rapporter l'un à l'autre cette foi et ce savoir, sans pouvoir revenir ni sur sa conviction ni sur ce qu'il connaît, sans pouvoir "ramener à l'un ce dédoublement dans lequel il est tombé" (Philosophie de l'esprit, ibid).

Pour Swain il découle de cette lecture d'Hegel, que le sujet n'a pas quelque part en lui une conviction délirante parmi d'autres idées plus ou moins pertinentes: il est tout dans son idée folle, l'idée est lui, ce qui souligne le vertige de cette certitude délirante qui n'est plus certitude soutenue par le sujet, mais certitude absorbant le sujet au point qu'il ne se soutient plus comme sujet que par cette certitude. La réflexion hégélienne porte plus loin qu'aucune autre en son temps l'effort pour penser l'être de conflit que révèle la folie: l'opposition non pas de deux côtés de la personne, mais de deux personnes psychiques au sein de la même individualité psychique, la production simultanée d'un être tout de conviction et d'un être pourvu de toute sa raison au sein du même sujet.

Une "folle" classification des folies

A partir du "reste" séparant la folie effective de la folie complète, la tendance de la réflexion s'inverse radicalement. Hegel classifie les folies du plus au moins, mais la gradation se fait à partir du sentiment qu'a l'aliéné de la contradiction qui est en lui. Ainsi, la manie (whansinn), forme suprême de folie, est caractérisée par la connaissance qu'a l'aliéné de cette scission de sa conscience en deux formes contradictoires, d'où sa tendance à la violence "impuissant à s'affranchir de sa représentation, il veut ou faire de celle-ci la réalité, ou bien détruire la réalité" (Philosophie de l'esprit, ibid). La figure la plus classique de l'extrémité de la folie est associé à la plus haute conscience du déchirement intérieur; du coup la violence du maniaque cesse d'apparaître comme une atrocité automatique, mais est à comprendre comme une lutte de l'homme contre sa folie. Le fou le plus fou est pour Hegel celui qui a le plus de distance à sa folie; plus la folie grandit et plus le fou dispose de sa raison. Conséquence: une scission en soi ressentie de façon de plus en plus aiguë et de plus en plus lourde de conséquences, une folie de moins en moins complète.

LA QUESTION CHEZ LES ALIENISTES

Cette dialectique entre folie effective et folie totale (idéale) est le correspondant philosophique de les débats des aliénistes entre délire partiel ou folie raisonnante, et le délire généralisé, entre la manie et la monomanie, etc.

Pinel

Sans doutes, Pinel s'appuie sur la psychologie des facultés pour fonder sa psychiatrie (Bercherie (P)., Les fondements de la clinique, Histoire et structure du Savoir psychiatrique, La Bibliothèque d'Ornicar?, 1980) comme le montre la lecture du chapitre VIII de la Section I "Diverses lésions des fonctions de l'entendement durant les accès". Mais de sa position matérialiste il s'interroge: "Tout cet ensemble de faits peut-il se concilier avec l'opinion d'un siège ou principe unique et indivisible de l'entendement? Que deviennent alors des milliers de volumes sur la métaphysique?" (Pinel (Ph.), Traité Médico-Philosophique sur l'Aliénation Mentale ou la La Manie, p. 25). La folie est loin de pouvoir se fonder sur un renversement total des facultés de l'entendement: "Les erreurs du raisonnement sont bien plus rares parmi les fous qu'on ne le pense, car en admettant un certain ordre d'idées dont ils sont préoccupés, ils en tirent avec justesse des inductions sûres" (Pinel (Ph.), Observations sur la manie pour servir l'Histoire naturelle de l'Homme, in Postel (J.) Textes Essentiels de la Psychiatrie, Larousse, 1994).

Si Pinel admet comme une possibilité "l'autocritique" de l'aliéné, "D'autres fois l'aliéné apprécie avec justesse son état, demande lui-même qu'on prolonge sa réclusion, parce qu'il se sent encore dominé par ses penchants impérieux; il semble en calculer froidement la diminution progressive, et il indique sans se méprendre l'instant où il n'y a plus à craindre de ses écarts" (Pinel, p. 32-33), il n'en fera pas l'axe des possibilités de guérison. Il n'hésitera pas d'ailleurs à des véritables mises en scène du délire du patient pour lui apporter la guérison, palpable plutôt dans les changements de comportement des patients que dans ses discours. D'autre part, son hippocratisme, la notion de la terminaison des maladies par des crises, lui fait s'interroger sur l'accès de manie "comme l'effet d'une réaction salutaire et favorable à la guérison" (Pinel, p.37).

Esquirol

"L'organisation "fédéraliste" du psychisme comme le conçoivent les idéologues, plutôt girondins, fait place à une conception "monarchiste constitutionnelle"", dit Bercherie (p. 41). Avec Esquirol se met en évidence l'importance d'une "fonction de contrôle", de sélection, de synthèse, manifestant l'action du moi sur les automatismes psychologiques. Il accentue la notion "d'erreur des sensations" à la base de la folie.

Avec Esquirol, on constate un recentrement du problème avec l'importance accordée aux passions (Lantéri-Laura (G.), Remarques critiques sur la notion de passion en psychiatrie, Perspectives psychiatriques, Vol. 36, N°1, 1997, pp. 8-13). Ce n'est pas seulement l'entendement qui joue le rôle principale dans l'aliénation, mais les passions: "j'ai principalement considéré les passions comme les symptômes les plus essentiels, et comme les plus puissants agents thérapeutiques" (Esquirol (E.), De la Folie, in Des Maladies Mentales, Frénésie Editions, Paris, 1989, p. 29). Ceci va guider son appréciation de la guérison de l'aliénation. Il parie plus sur les affects en tant qu'indice de guérison: "Le retour aux affections morales dans leurs justes bornes; le désir de revoir ses enfants, ses amis; les larmes de la sensibilité; le besoin d'épancher son cœur, de se retrouver au milieu de sa famille, de reprendre ses habitudes, sont des signes certains de guérison, tandis que le contraire avait été un signe de folie prochaine ou un indice de rechute imminente; et la diminution du délire n'est un signe certain de guérison que lorsque les malades reviennent à leurs premières affections" (Esquirol (E.), De la Folie, ibidem, p. 8).

Esquirol va bien observer la duplicité dont parle Hegel, croyance/savoir: "Il faut toujours parler avec vérité, sincérité à ces malades, n'employer que le langage de la raison et de la bienveillance; mais vouloir guérir les aliénés par des syllogismes et des raisonnements, c'est mal connaître l'histoire clinique de l'aliénation mentale. Je vous entend très bien, me disait un jeune lypémaniaque, je comprends vos raisonnements; si j'étais convaincu je serais guéri" (ibidem, p. 67).

Le phénomène d'une éventuelle critique lui semble très secondaire par rapport au phénomène de la croyance: "Convaincus que ce qu'ils sentent est l'effet légitime d'une impression, que ce qu'ils veulent est juste et raisonnable, on ne peut les convaincre d'erreur; leur conviction est quelquefois plus forte que leur jugement. "Vous avez raison, me disait un aliéné; mais vous ne pouvez me convaincre" Néanmoins, quelques-uns apprécient le désordre de leurs idées, de leurs affections; ils en gémissent, ils en ont honte et même horreur; mais leur volonté est impuissante, ils ne peuvent la maîtriser" (Esquirol (E.), Mémoire sur la monomanie homicide, in Des Maladies Mentales, ibidem, p. 335).

Mais une autre question aura de l'importance. Ce qui commence à apparaître avec la notion de folie partielle, c'est son envers et qui constitue quelque chose de scandaleux: la raison est partielle!: "Si nous réfléchissons à ce qui se passe chez l'homme le plus raisonnable, seulement pendant un jour, quelle incohérence dans ses idées, dans ses déterminations depuis qu'il s'éveille jusqu'à ce qu'il se livre au sommeil du soir! Ses sensations, ses idées, ses déterminations n'ont quelque liaison entre elles que lorsqu'il arrête son attention; alors seulement il raisonne: l'aliéné ne jouit plus de la faculté de fixer, de diriger son attention" (De la Folie, ibidem, p. 10). C'est sa notion de monomanie homicide qui déclenche un combat féroce avec les instances judiciaires et avec l'opinion publique, qui lui reprochent de détruire ce sur quoi la société repose: la liberté du sujet et sa responsabilité, toute fondée sur des bases solides par l'impératif kantien!

En clinique, l'envers de la folie partielle est la guérison partielle: "Il n'est point rare que des individus regardés comme guéris par leurs parents et même par le médecin, ne le soient point entièrement. Ces individus raisonnent parfaitement, ont repris leurs habitudes, leurs manières de vivre et remplissent même des fonctions importantes, tandis qu'il en reste en eux quelque chose de singulier, de bizarre et d'insolite" (p. 49).

Leuret

C'est peut être Leuret qui a le plus infléchi la notion de traitement moral, dans le sens d'une "correction" des idées délirantes, n'hésitant pas à recourir aux "thérapeutiques physiques" les plus punitives afin d'obtenir du patient leur rectification (Morel (P.), Quétel (C.), Les Thérapeutiques de l'aliénation mentale au XIXème siècle, in Postel (J.), Quétel (C.), Nouvelle Histoire de la Psychiatrie, Dunod, 1994, pp. 314-326).

"Croire que l'on est grand seigneur, quoiqu'on ne le soit pas, c'est une maladie; le remède à cette maladie, c'est la douche et l'eau froide; tant que la maladie durera nous emploierons le remède; dès qu'elle sera passé, nous cesserons. Le malade qui se voit dans l'alternative d'être grand seigneur et de souffrir, ou de cesser d'être grand seigneur et de ne plus être soumis à aucune contrariété, ne tarde pas à prendre ce dernier parti" (Leuret (F.), Monomanie d'orgueil, Fragments psychologiques sur la folie, Paris, Crochard, 1834, pp. 319-320). Déjà ses contemporains furent très critiques à l'égard de son "traitement moral", mais gardons nous de réduire Leuret cet aspect de son œuvre.

Par contre, il est aisé de comprendre alors comment quelque chose qui apparaissait déjà avec Pinel, une autre dimension clinique inextricablement liée à la doxa "critique du délire", la réticence, commence à se faire explicite, en partie en raison de l'important conflit des psychiatres avec les autorités judiciaires (Cohen (Y.), La réticence, L'Evolution Psychiatrique, 59, 2, 1994, pp. 285-303).

Falret

Lantéri-Laura (Lantéri-Laura (G.), Essai sur les paradigmes de la psychiatrie moderne, Editions du Temps, 1998) situe l'œuvre de Falret à ce moment de la psychiatrie où l'on passe du paradigme de l'aliénation mentale à celui des entités morbides.

Falret continue dans la voie qui, à l'image de la folie partielle, démystifie la raison pour la rendre raison partielle: "Eh bien! maintenant je le demande, cette description abrégé de certains états psychologiques, connus de tous les hommes et qui s'allient avec l'intégrité des facultés intellectuelles, n'offre-t-elle pas les caractéristiques d'analogie les plus frappantes avec certains degrés des maladies mentales?" (Falret (J.P.), Des maladies mentales et des asiles d'aliénés, Editions Sciences en situation, 1994, Vol I, p. 18)

Falret continue à donner une importance particulière aux passions "véritables intermédiaires de la raison et de la folie" (ibid., p. 16). De même que Guislain, en Belgique, Falret considère que le trouble commence par le côté affectif de notre nature: "C'est là en général, le caractère primitivement essentiel de la folie. Le trouble de la raison lui est consécutif et même subordonné" (ibidem p. 19). Cependant, la doxa est là pour lui faire dire: "Il en est d'ailleurs des illusions de l'esprit comme des illusions des yeux; il n'y a pas de folie, si la raison rectifie les erreurs intellectuelles et sensorielles" (ibid. p. 22).

La notion d'intervalle lucide dans la marche des maladies mentales, des intermittences, le fait dire: "On est très exposé à les confondre avec de simples rémissions, d'abord parce qu'il est difficile de reconnaître un délire qui persiste dans l'esprit sans pousser à l'action, et ensuite parce que, dans les rémissions prononcées, les malades ont assez d'empire sur eux-mêmes pour recourir à la dissimulation" (ibid. Vol II, p 335).

Lorsqu'il aborde l'amélioration progressive de l'aliéné, il note: "Bientôt il commence à […] raisonner; ses jugements se rectifient […] Dans ces instants, non seulement l'aliéné parle avec sens des choses actuelles, mais encore il se rappelle et il condamne ses égarements récents. […] Le monomaniaque commence à douter de ses chimères; et si ses erreurs ne lui sont pas encore manifestes, il convient du moins qu'il pourrait bien se tromper" (ibid. p. 341). Mais il ne le considère point cette critique comme un indice sûr de guérison: "Pendant qu'on observe cette décroissance du délire, la physionomie prend un aspect plus normal. […] Lorsque les idées sont rectifiées en partie ou en totalité, les sentiments se réveillent. […] La diminution du délire n'est un signe certain de guérison que lorsque en même temps les aliénés reviennent à leurs premières affections. Pour annoncer une convalescence confirmée, il ne suffit donc pas de la cessation des idées insensées, du retour de l'attention, de la mémoire, du jugement; il importe encore d'avantage de constater l'éveil des sentiments affectueux et moraux" (ibid. pp. 341-343). En somme c'est la même position à cette égard que celle d'Esquirol, à qui pourtant il combattait.

LA QUESTION CHEZ LES PSYCHIATRES

Nous suivons volontiers E. Trillat (Postel (J.), Quétel (C.), Nouvelle Histoire de la Psychiatrie, Dunod, 1994) qui parle de la fin de l'aliénisme et de la naissance de la psychiatrie, pour désigner la période comprise entre 1900 et 1920, période à partir de laquelle on ne croit point dans des entités morbides autonomes et clairement définies. Le Traité que va écrire G. Ballet en 1903 apparaît comme le premier traité moderne, un ouvrage collectif.

Arnaud

Dans ce traité, Arnaud conteste la notion de délire partiel. "Mais ce caractère de trouble partiel n'est que relatif, il doit s'entendre de l'extension du délire et non de l'étendue de la lésion intellectuelle; le délire ne se manifeste qu'à propos de certaines séries d'idées, mais l'esprit est faussé dans son ensemble, il est incapable d'apprécier exactement et de rectifier les éléments faux qui l'envahissent. La faculté critique est abolie au point que ces éléments faux, pour peu qu'ils rentrent dans le système morbide, ne sont même pas distingués des idées saines […] L'intelligence est donc lésée dans sa fonction essentielle et générale" (Arnaud (F.-L.), Traité de Pathologie Mentale, sous la direction de G. Ballet, Paris, Octave Doin, Editeur, 1903, p. 488-489).

Ainsi, la notion de guérison es une nouvelle fois contestée, et ce en particulier à propos de ce qu'aujourd'hui on appelle les bouffées délirantes aiguës: "Je ne puis m'empêcher de penser que l'on a singulièrement exagéré la curabilité des délires systématiques à développement rapide, à physionomie polymorphe et à marche régulière. On dit bien, il est vrai, que, s'ils guérissent, ils ont aussi une déplorable tendance à récidiver. Mais, ce qui me paraît précisément contestable, c'est la légitimité de la guérison de l'accès, c'est le retour complet à l'état normal. Il est facile de prouver, dans bien des cas où l'on a pu suivre les malades, que cette prétendue guérison n'est pas autre chose qu'une rémission plus ou moins satisfaisante, laissant subsister des interprétations fausses et même de véritables idées délirantes, que le malade dissimule et cache de son mieux, de façon à conserver toutes les apparences de la raison" (ibidem, p. 502).

Nous voyons ainsi une nouvelle fois cette dimension clinique de la réticence. Ce qui est étonnant c'est que jusqu'ici, personne ne se demande quelle peut être cette lésion de l'entendement que laisse suffisamment de raison à l'aliéné pour comprendre que ce qu'il dit pourrait être pris pour déraison par cet autre censé ne pas être insensé, incarné par le psychiatre, et ceci à un telle puissance de pouvoir mimer cette raison au point de tromper celui dont les facultés seraient intactes! La notion d'irréductibilité du délire reprend forme.

Les folies raisonnantes selon Sérieux et Capgras

Sérieux et Capgras s'efforcent d'introduire des différences de nature entre l'erreur, qui serait corrigible et l'interprétation délirante qui n'est pas du même registre: "Il est plus malaisé de séparer l'interprétation délirante de l'interprétation fausse. […] L'erreur, dit-on, est le plus souvent rectifiable: l'interprétation délirante incorrigible. […] L'erreur n'a pas pour objet le moi; l'interprétation délirante a pour objet le moi, son caractère égocentrique est marqué. […] Suffirait-il de dire que l'interprétation délirante est absurde et inacceptable par les gens d'esprit? non point: nombre d'interprétations délirantes, plus vraisemblables que maintes erreurs, ont entraîné l'adhésion de personnes sensées et intelligentes" (Sérieux (P.), Capgras (J.), Les folies raisonnantes, Félix Alcan, 1909, p. 4).

Encore une fois, cette double conscience dont parlait Hegel, ne leur échappe pas, et ils repèrent avec beaucoup de finesse cette contradiction de l'être même du fou: "Parfois le malade se tait, non pour dissimuler, mais parce qu'il a conscience de l'invraisemblance de son délire: une mégalomanie, ayant fini par s'avouer belle-sœur du roi d'Angleterre, ajoute "je n'en parle pas, on me prendrait pour folle. C'est incroyable"" (Sérieux (P.), Capgras (J.), ibidem, p. 27), introduisant ainsi la dimension clinique de la perpléxité.

Philippe Chaslin

Philippe Chaslin consacre lui, un chapitre complet à cette question dans la partie sémiologie de célèbre Eléments de Sémiologie et Clinique Mentales, mais c'est pour la critiquer ironiquement aussi bien chez les malades que chez les sains d'esprit, y compris chez ceux censés être les dépositaires du savoir commun de l'humanité: "Il me paraît inutile pour caractériser cette reconnaissance de l'affection mentale d'employer le terme d'auto critique adopté par quelques auteurs. Cette faculté, qui existe à l'état normal et nous permet de rectifier nos erreurs, est bien faible en chacun de nous et bien faillible. […] L'étude des aliénés, comme des gens dans les limites de la normale, montre que ce qui entrave avant tout tout exercice de cette perception des différences et ressemblances, c'est le sentiment, l'émotion. […] Resterait à savoir s'il est possible de distinguer la raison de la folie toujours et à coup sûr. Psychologiquement cela paraît impossible. Ce n'est que par l'absurdité évidente des produits de l'imagination des malades que l'on diagnostique l'idée vraiment délirante ou pathologique: mais est-ce que l'Académie des sciences n'avait pas mis le téléphone au même rang que les inventions qui ont trait au mouvement perpétuel?" (Chaslin (Ph.), Eléments de Sémiologie et Clinique mentales, Paris, Asselin et Houzeau, Libraires de la Faculté de Médecine, 1912, pp. 189-190).

Le Maître du Dépôt: Clérambault

Le mécanicisme organiciste de Clérambault le fait dédaigner quelque peu la idéogenèse des délires. Bien au contraire, l'indépendance des automatismes de la fonction de conscience de maladie lui semble la preuve de la nature mécanique du trouble. Ainsi, il n'est pas surprenant que dans différents certificats établis, il note souvent "conscience de maladie", ce qui ne l'empêche pas de conclure à l'internement du sujet.

A propos d'une malade qui disait d'elle-même "Je suis une folle qui va beaucoup mieux", Clérambault range son analyse sous la rubrique conscience de maladie: "La malade reconnaît des fois spontanément la subjectivité de ses troubles. "Ils se passent des choses dans ma tête. Ça vient de moi. Je suis une poupée malade. Je me fais des raisonnements à ce propos pour me prouver que je ne suis pas folle. Pourquoi je ne suis pas comme tout le monde? Je suis une folle". Elle expose son cas avec un ton de plainte désespérée, pleure sur les épaules du médecin et demande à être guérie. Elle offre le pénible spectacle d'un être qui assiste à l'agonie de ses facultés" (Clérambault (G.), Automatismo mental, Paranoia, Polemos Editorial, 1995. La psicosis alucinatoria crónica, 1924, p. 136) Cette conscience de maladie est loin d'être pour lui synonyme de guérison.

A propos d'une autre malade de laquelle il disait "présenter une combinaison singulière de conscience de maladie et de convictions maladives", il nous retranscrit son interrogatoire tendant à montrer la conscience de subjectivité de cette patiente:

"D. - Vous êtes folle; répétez-le.

R. - Il est probable que je sois une persécuté puisqu'ils m'embêtent.

D. - Jouissez-vous de toutes vos facultés mentales?

R. - Mon ami me dit que je lui rend la vie impossible depuis 3 ans; Ces maladies guérissent? Le fou que vous m'avez montré n'a pas l'air de se guérir; je pense que je suis beaucoup moins folle que lui.

D. - Moi je vous mets avec les folles.

R. - Ne me mettez pas avec les folles. Je veux pouvoir travailler un peu; je sais tout faire; en particulier la cuisine. Etre dans une maison où je pourrais dormir, être tranquille, me fera du bien.

D. - Ecoutez votre certificat (on le lui lit).

R. - Ça c'est moi. Il faut me guérir, pour qu'après je puisse travailler.

D. - Serrez-moi la main.

R. - J'aimerez bien, mais je n'ai pas les mains assez propres. Au revoir monsieur et merci.

D. - Merci pour quoi?

R. - Pour avoir été aimable avec moi" (p. 146).

Bel exemple d'un style clinique qui n'a pas manqué de faire couler de l'encre…
Bel example aussi d'une autre figure de style, propriété du schizophrène cette fois-ci: l'ironie.

La Critique dans l'œuvre du Maître de Bonneval, Henri Ey

Pour un kantien de sa taille, pour qui la Conscience, aboutissement d'un processus d'évolution créatrice, d'affranchissement aux déterminations inconscientes par une conscience dénégatrice, est ce lieu de La Raison qui ne peut nullement être identifié avec La Folie qui représente le contretemps et le contre sens (Mahieu (E.), 5) "Ey, Lacan et la Liberté", L'Information Psychiatrique, N° 5, Volume 75, Mai 1999, pp. 514-520), la question de la critique du délire devrait être clairement tranchée. Mais dans ses écrits les plus cliniques nous ne retrouvons aucune mention à la question. Au contraire, il fait sienne la phrase de la Phénoménologie de la Perception: ""Ce qui garantit l'homme sain contre le délire ou l'hallucination, ce n'est pas sa critique, c'est la structure de son espace", dit excellemment Merleau Ponty" (Ey (H.), Etude N° 23, Bouffées Délirantes et Psychoses Hallucinatoires Aiguës, Etudes Psychiatriques Tome III, Desclée de Brouwer, Paris, 1954). Ou encore lorsqu'il aborde la question de la psychothérapie: "L'intervention de l'homme sur l'homme, même bien intentionnée, est susceptible d'effets que l'intention et les justifications rationnelles ne suffisent pas à expliquer ni à légitimer. […] Ce pourquoi les psychothérapies rationnelles sont d'un intérêt limité, et peuvent agir à contre sens" (Ey (H.), Manuel de Psychiatrie, Masson, 1973, p. 1072), remarque qui garde tout son intérêt lorsqu'on arrivera à l'actualité de la question de l'insight.

Se rangeant avec d'autres auteurs classiques, comme Régis dont il cite ses textes, c'est à propos des états oniroïdes, du "réveil de l'onirisme confusionnel", que l'expression trouve une petite place dans son œuvre à côté d'une autre dimension clinique dont on a déjà parlé, la perpléxité: Ey parle des "oscillations de la croyance et de la perplexité critique à l'égard du délire" (Ey (H.), Manuel de Psychiatrie, Masson, 1973, p. 1072, p. 305).

La Psychopathologie Générale de Karl Jaspers

Jaspers est peut être le psychiatre qui ait consacré le plus d'espace à cette notion. Il a beaucoup influencé notre actualité par le biais de la psychiatrie anglo-saxonne comme nous allons le voir plus loin.

Il consacre tout un chapitre à la question de l'attitude du malade par rapport à sa maladie avec des distinctions cliniques tout à fait pertinentes. "Pendant la psychose, dit Jaspers, il n'y a pas de reconnaissance entière et durable. […] Certains phénomènes sont bien jugés avec justesse, mais en outre d'innombrables faits morbides ne sont même pas reconnus comme tels, et il y a, réciproquement, des sentiments de maladie dont le contenu est faux et qui constituent eux-mêmes des signes morbides. […] Des malades s'expriment ainsi: "Je ne sais pas ce qui se passe. Suis-je fou ou non?… Je vois et j'ignore ce que je vois, est-ce de la fantaisie? J'ignore ce que cela doit signifier. Suis-je ensorcelé ou bien quoi?"". Notons comme tout à fait intéressant la possibilité que cette critique du délire soit en elle même signe de maladie.

Mais, encore plus intéressante, est l'attention que prête Jaspers à une division entre le sujet de l'énonciation et le sujet de l'énoncé. "Le contenu du langage pendant la psychose est souvent trompeur […] Bien que ces phrases puissent faire croire à une compréhension profonde de la situation de la part des malades, il n'en est rien. Au même instant ils sont convaincus de la réalité de leurs idées délirantes et ils ne tirent aucune conséquence de leur compréhension apparente. Ils ont tout simplement appris par cœur les opinions des psychiâtres et des autres hommes, et ils répètent des phrases vides qui ne leur disent rien à eux."

Qu'en est-il une fois l'épisode aigu passé? Dans certains cas, dont la confusion et la manie, une critique totale lui semble possible: "En tout cas les malades ayant repris une lucidité complète peuvent faire un tableau par exemple après un délire, une psychose hallucinatoire alcoolique, ou après une manie: les malades déclarent sans réserve, en considérant tous leurs symptômes particuliers, qu'ils étaient malades. Ils parlent franchement et avec espritcritique des contenus de la psychose, qui leur sont devenus maintenant tout à fait étrangers et indifférents, et desquels ils causent et rient même sans aucune arrière pensée, comme de quelque chose qui ne fait plus partie d'eux mêmes. Ils ne tirent de cette compréhension que des conclusions raisonnables: crainte d'une rechute, crainte du scandale suscité par leur internement, etc.".

Lorsque la folie d'un moment se poursuit dans la folie de l'existence, si nous reprenons cette expression d'Henri Ey, Jaspers décrit: "En opposition avec eux, il y a des cas assez fréquents dans lesquels les jugements communiqués, subjectivement sincères, donnent l'illusion d'un esprit critique intact, alors qu'une étude plus détaillée dissipe cette illusion. Les malades déclarent qu'ils on traversé une maladie mentale, qu'ils sont convaincus de l'irréalité des contenus correspondants et qu'ils se sentent maintenant tout à fait bien portants. Mais ils ne parlent pas librement de tous les contenus de leur psychose et même lorsqu'ils le veulent bien, on remarque chez eux une émotion inadéquate quand on les questionne sur ces contenus. Ils deviennent rouges ou pâles, ils commencent à transpirer et donnent finalement des réponses évasives en disant qu'ils ne désirent plus s'occuper de ces choses-là, que cela les énerverait. Il y a toutes les transitions depuis ces cas jusqu'à ceux dans lesquels les malades refusent de donner la moindre indication. Ensuite on remarque à l'occasion que certains détails particuliers (persécutions, etc.) sont effectivement maintenus dans leur esprit, et il leur échappe des phrases comme: "Théoriquement je peux bien douter, si c'est vrai ou non, mais pratiquement je n'ose pas, sans cela je serais à jamais interné", etc. Dans ces cas il n'est pas question d'une compréhension entière de la part des malades. La personnalité de ces malades est - souvent sans que l'on s'en aperçoive - atteinte d'une façon durable par les contenus de la psychose, et elle est incapable de les considérer objectivement comme une expérience étrangère; elle ne réussit qu'à les considérer comme quelque chose d' "achevé", de "révolu". Dans d'autres cas les malades se souviennent, même avec plaisir, de leur psychose aiguë. Ils regrettent même la disparition progressive des souvenirs. Ils ne voudraient pas priver leur vie de l'expérience si variée de leur psychose.

Gérard de Nerval commence ainsi l'autodescription de sa maladie: "Je vais essayer de décrire les impressions d'une longue maladie qui s'est déroulée tout entière dans les mystères de mon esprit, et j'ignore pourquoi je me sers du terme "maladie"; car jamais je ne me suis senti mieux portant. Parfois, je sentais ma force et mes facultés doublées. Il me semblait que je savais et que je comprenais tout, l'imagination me procura des jouissances infinies. Doit-on regretter de l'avoir perdue en regagnant ce que les hommes appellent raison?" (Jaspers (K.), Psychopathologie Générale, Paris Alcan, 1928, pp. 353-367).

MARX, HUSSERL ET FREUD.

Avec Kant et Hegel, nous sommes dans l'idéalisme. L'antagonisme intérieur du subjectif et de l'objectif est pour Hegel essentiellement indéterminé dans son contenu. La contradiction est abstraite. Si Hegel pense la folie comme conflit, il ne voit pas dans ce conflit la manifestation ou le prolongement d'une organisation conflictuelle sous-jacente.

Avec Marx ou Freud, des penseurs de cette division subjective, le conflit est doté d'un contenu et d'une dynamique. Ecoutons Marx: "La production des idées, des représentations, de la conscience est, de prime abord, directement mêlée à l'activité et au commerce matériel des hommes: elle est le langage de la vie réelle. […] Ce sont les hommes qui sont producteurs de leur représentations et leurs idées, etc., mais ce sont les hommes réels, œuvrants, tels qu'ils sont conditionnés par un développement déterminé de leurs forces productives […] La conscience ne peut être autre chose que l'être conscient, et l'être des hommes est leur processus de vie réel. Si dans toute l'idéologie, les hommes et leur condition apparaissent sens dessus dessous comme dans une camera obscura, ce phénomène découle de leur processus de vie historique, tout comme l'inversion des objets sur la rétine provient de leur vie directement physique" (Marx(K.), L'Idéologie Allemande, in Philosophie, Folio Essais, 1994, pp. 307-308).

On tend alors à quitter avec fracas une psychologie des facultés de l'âme, dite alors scolastique, qui est répudiée avec toutes les forces et tous les arguments, pour tendre vers une psychologie concrète ou une métapsychologie, ou une autre conception anthropologique qui donne une autre vision de la folie. C'est ce que dit Tatossian dans notre introduction.

Inversement la réduction phénoménologique de Husserl 3, c'est-à-dire la suspension de la thèse de la réalité du monde, implique que cet abordage ne tient pas compte des jugements "vrai" ou "faux", nécessaires à la notion de la critique de "l'erreur" supposé à la base du délire.

PSYCHIATRIE ET MARXISME

A notre connaissance, ni Marx ni Engels abordèrent directement le problème de la folie. Dans la lignée de Politzer, les travaux de Bonnafé et Follin constituent un bon exemple de cette réflexion marxiste sur le phénomène de la folie. Bonnafé, après s'être attaqué à "la liquidation de la phraséologie de la conscience", il affirme que ""l'aliénation mentale" extériorise chez le malade l'aliénation humaine dans des formes qui constituent un aspect spécialement paroxystique et dramatique du conflit entre l'individu et l'espèce relativement aux conditions réelles, historiques, d'existence de l'homme" (Bonnafé (L.), Histoire d'un mythe, L'Evolution Psychiatrique, N° spécial Marxisme et Psychiatrie, 1948, pp. 75-105). Le problème de la folie se pose dans des termes différents qu'un conflit entre diverses facultés mentales: "Concrètement, dit Follin, [la folie] ne saurait donc que traduire une transformation des conditions de vie sociale, propre à un individu particulier, dans un milieu et à un moment historique donné […] La situation de l'homme psychopathe […] est justement l'impossibilité pour lui de vivre les relations interhumaines qu'une telle structure sociale implique. L'aliéné est un individu isolé relativement à son milieu social […]. Mais toujours cet isolement a un contenu significatif, propre à chaque cas dont il constitue le drame" (Follin (S.), Bonnafé (L.) A propos de la psychogenèse, in Le Problème de la Psychogenèse des névroses et des psychoses, Colloque de Bonneval, Desclée de Brouwer, 1950, p. 159). Dans cette perspective, la tache de désaliénation, selon l'expression de Bonnafé, ne contient nulle part une "critique du délire".

PSYCHIATRIE PHENOMENOLOGIQUE

Nous avons déjà avancé en quoi l'époché phénoménologique excluait la notion de "critique" définie comme la fonction de la pensée qui détermine le vrai ou le faux. Mais voyons comment ils ont traite ce point.

Minkowski et le Traité de Psychopathologie

L'inspiration bergsonienne de Minkowski le fait se méfier d'une raison toute-puissante. "La distinction des malades conscientes ou non de leur état est d'usage courant. Cette distinction ne constitue pas un élément de diagnostic différentiel. […] a première vue, la conscience de l'état maladif devrait indiquer des cas plus légers. Mais c'est loin d'être la règle, surtout si nous nous tournons à nouveau vers la schizophrénie" C'est donc surtout dans la schizophrénie qu'il lui faut démystifier cette idée reçue.

De critique, Minkowski le transforme en témoignage: "Les données fournies par les malades conscients semblent avoir la valeur d'un témoignage. […] Il est à remarquer pourtant que ces renseignements ne coïncident pas nécessairement avec l'idée que nous nous faisons de leurs troubles. Un sujet accusant des troubles de nature hystérique (par ex. astasie-abasie) n'aura pas conscience de la mentalité hystérique dont, pour nous ses troubles procèdent". Mais le témoignage n'a pas forcément valeur de plainte: "les malades conscients de leur état, même en présence du médecin, ne s'en plaignent pas encore ipso facto. […] Se rendre compte d'une gêne, d'un arrêt, d'une modification de sa personne n'est encore ni en souffrir ni s'en plaindre; il peut s'agir d'un constat" (pp. 604-606).

L'Ecole phénoménologique de Marseille: Tatossian et Giudicelli

Pour Tatossian le délirant ne se définit pas par rapport à l'homme normal par un manque, mais par une positivité: la conscience d'un monde parallèle au monde naturel. Les réalités naturelles sont toutes présentes dans le champ délirant, mais après avoir subi la modification fondamentale de neutralisation de leur caractère de réalité. Alors "La conscience délirante se présente fondamentalement comme une conscience connaissante […]. Il s'agit de récupérer au sein de la folie elle-même la transparence de la conscience à elle-même et de légitimer ainsi la conscience délirante comme ce qu'elle prétend être: une conscience de connaissance". Cette neutralisation de la réalité explique pour Tatossian l'indifférence à la praxie mondaine de la connaissance délirante, déjà entrevue par Hegel. Cet "apragmatisme" de la conscience délirante est un trait essentiel, qui nous renvoie à la division subjective: "Les objets de la conscience délirante ne possèdent justement pas ce caractère de réalité naturelle ni la valeur de motif adéquat d'action. […] L'analyse d'une conscience - et le délire est une conscience bien avant d'être une histoire ou un syndrome - est nécessairement amenée à poser la question du sujet délirant, de qui parle dans le délire. Mais elle est habituellement esquivée par l'identification du sujet délirant avec le sujet psychophysique de la vie naturelle, "dans la perspective classique du sujet unifiant", comme dit Lacan, qui pose sérieusement la question. […] Le sujet du délire ne peut être le sujet psychologique" (Tatossian (A.), Analyses phénoménologiques de la conscience délirante, in Psychiatrie Phénoménologique, Acanthe, Lundbeck, 1997, pp. 111-125). Une "critique" du délire perd toute valeur opératoire dans une telle analyse.

Plus encore, pour Giudicelli elle est inconcevable: "Le délire est à considérer à sa racine, comme un acte d'élaboration; la conviction en est le fondement en tant qu'acte et non le contenu, l'objet de la psychopathologie n'étant pas le repérage clinique d'un comportement ou d'un vécu déviants mais comme le précise Blankenburg le "ne-pas-pouvoir-se-comporter" autrement et le "ne-pas-pouvoir-éprouver" autrement. C'est le caractère de certitude vécue qui est le primat du délire.

[…] Dans l'acte cognitif commun 4, l'infaillibilité est acquise après l'expérimentation de la réalité, l'infaillibilité devenant le corollaire de la vérification de l'hypothèse portée sur le monde. Dans l'acte spécifique et fondateur du délire comme condition de possibilité, c'est l'inverse: l'infaillibilité est première, le remplissement délirant étant un rajout secondairement raconté en tant qu'histoire. L'acte spécifique et fondateur exclut la possibilité d'une critique, le contenu délirant consécutif partant dans sa dérive incorrigible. Les délirants subissent alors leur délire, non sans pouvoir distinguer ce délire subi et le plan de l'expérience naturelle où il se meuvent par ailleurs, ce qui explique chez certains la réticence à en livrer le contenu, chez d'autres des tentatives d'explicitation à la recherche d'une impossible conjonction entre les deux plans qui, par essence, subissent une disjonction, à savoir le plan de l'expérience naturelle et le plan de l'expérience délirante" (Giudicelli (S.), La question de la subjectivité dans le champ psychotique, in Sujet et subjectivité, Questionnement philosophique, Questionnement psychopathologique, Erès, 1990, pp. 9-24).

LACAN ET LA PSYCHANALYSE

La Thèse de Lacan

Pour le Lacan de la Thèse, le délire est irréductible car il découle des complexes du sujet. De ce fait "apprendrons-nous à juger de l'évolution de la psychose, non sur la seule persistance d'affirmations délirantes, plus ou moins sollicitées par l'interrogatoire, mais sur des faits d'attitude pratique du malade, d'adaptation de sa conduite sociale et professionnelle". Des complexes sous l'influence de l'affectif: "Cette irréductibilité, plus ou moins durable, plus ou moins profonde, se manifeste pourtant. Pour être relative, elle n'en est pas moins certaine. L'action perturbatrice, normalement exercée par l'affectivité sur l'appréhension rationnelle du réel, explique en partie l'irréductibilité de l'erreur. […]Que si l'on admet, avec Bleuler, la permanence du conflit générateur, la clinique montre que ce conflit est le plus souvent conditionné par les dispositions intimes du malade" (Lacan (J.), De la psychose paranoïaque dans ses rapports avec la personnalité, Seuil, 1975, p. 106).

Le Séminaire sur Les Psychoses

Plus tard, dans son Séminaire de la psychose et dans une autre perspective, il se livre à une critique acerbe de sujet unifiant, qu'il qualifie de mythe: "Mythe de l'unité de la personnalité, mythe de la synthèse, mythes des fonctions supérieures et inférieures, confusion à propos de l'automatisme, tous ces types d'organisation du champ objectif montrent à tout instant le craquement, l'écartèlement, la déchirure, la négation des faits, la méconnaissance de l'expérience la plus immédiate" (Lacan (J.), Séminaire Livre III, Les Psychoses, Seuil, 1981 p. 16). A une psychologie des facultés avec son entité unifiante, il va proposer un autre abord: l'abordage structural par le langage: "Soit un sujet qui est l'objet d'un écho de la pensée. […] Pour que ce retard soit enregistré, il faut bien qu'il y ait un point privilégié d'où ce repérage puisse être fait, d'où le sujet note la discordance éventuelle entre un système et un autre. […] Qu'est-ce ce point privilégié, si ce n'est l'âme? […] C'est ce qu'on appelle d'habitude la fonction de synthèse, le propre d'une synthèse étant d'avoir quelque part son point de convergence - même idéal, ce point existe.

Donc que nous nous fassions organogénétistes ou psychogénétistes, nous serons toujours forcés de supposer quelque part une entité unifiante. […] N'y a-t-il pas moyen de s'arrêter sur le phénomène de la parole en tant que tel? A simplement le considérer, ne voyons-nous pas se dégager une structure première, essentielle et évidente, qui nous permet de faire des distinctions qui ne sont pas mythiques, c'est-à-dire qui ne supposent pas le sujet quelque part?" (Lacan (J.), Séminaire Livre III, Les Psychoses, Seuil, 1981 pp. 46-47). Voilà comment pour Lacan la question est définitivement réglée.

ACTUALITE DU PROBLEME: LA QUESTION DE L'INSIGHT

Nous assistons de nos jours à un éclatant retour de la question kantienne de la critique du délire à travers le regain d'intérêt dans la littérature anglo-saxonne sur l'insight. Ainsi le montre un ouvrage très récent et consacré à la question: Insight and Psychosis, Amador (X.), David (A.), Oxford University Press, 1998. On reconnaît que cette notion ne va pas sans poser des questions philosophiques, mais pour l'intérêt clinique on a "conceptualisé" la notion selon trois pôles essentiels: conscience de maladie, conscience de symptôme et compliance au traitement.

Les programmes psychoéducatifs. Après le religieux et le politique, l'économique?

Ainsi, le renforcement de l'insight est un des points clés des programmes psychoéducatifs destinés aux schizophrènes que les laboratoires mettent en place avec comme maxime "Le droit à l'information au patient". Evidemment un accent tout particulier est mis dans la "compliance" aux traitements médicamenteux (Rapport de Mac Glashan pp. 87-125, Les Troubles Schizophréniques, Michel De Clercq, Joseph Peuskens, De Boeck Université, 2000). On peut lire dans chaque numéro du Schizophrenia Bulletin, des témoignages des schizophrènes informés et critiques, qui parlent d'eux mêmes comme des DSM IV, au mieux; comme des brochures de laboratoire, au pire... Le témoignage des patients doit être écrit d'une "façon claire et organisée" selon les réquisits de l'éditorial et traiter d'un aspect nouveau de la schizophrénie ou qui porte l'emphase sur des points qui présentent de l'intérêt pour les professionnels. Dans le numéro 3 de l'année 2000 un patient donne à connaître son nouveau "mantra": "diagnostic précoce et traitement en première intention avec des atypiques, éducation familiale et prévention des rechutes, accueil adéquat et gestion du cas, opportunités pour une activité ayant du sens et de l'emploi" (Chovil (I.), First Person Account: I and I, Dancing Fool, Challenge You the World to a Duel, Schizophrenia Bulletin, Vol. 26, N° 3, 2000, pp. 745-747).

EN CONCLUSION

Du sens commun au bon sens

Après avoir recueilli tant de fines théorisations de la plume d'auteurs qui se passent de commentaires, qu'est-ce qui peut expliquer la persistance et la vitalité de l'expression "critique du délire"? Peut être qu'en bonne héritière de la psychologie des facultés, est-elle une notion qui se lie au sens commun, celui qui naît avec la koine aisthesis d'Aristote, celui dont parle Kant, mais aussi celui que l'école écossaise (A. Smith, Reid, Stewart, Moore, 5) développa avec une influence notable dans toute la pensée du 19ème siècle? Selon cette école, outre celui d'appartenir à un ensemble de jugements communément (ou universellement) partagés par les membres d'une communauté humaine, de consentement universel (consensus omnium), il se doit d'avoir un caractère évident ou irrésistible. Le délire étant par essence hors sens commun, hors "symptôme normal", il fait naître une tendance irrépressible à vouloir le ramener dans le sérail.

Peut être cette notion est aussi indéracinable que la psychologie des facultés, ou que le sens commun lui-même, à moins qu'une nouvelle réforme de l'entendement… Une "façon de parler", à l'image de celle que nous utilisons quotidiennement: "il entend des voix", maintes et maintes fois démentie par la clinique, voilà ce qui nous voudrions qu'elle reste, cette "critique du délire". Pour qu'elle puisse rester autant que possible plutôt du côté du bon sens.

Retour vers Séminaire
 
 

_____________________________________________________________________________________________

NOTES

 
 

1) dóxa (opinion): opposé à épistémé (connaissance stable, certaine). Consacrée par Parménide, Platon s'en inspire de cette opposition entre opinion et science. Chez Platon, la dóxa désigne un type de connaissance intermédiaire entre l'ignorance et la science (Encyclopédie Philosophique Universelle, Les Notions Philosophiques, Presses Universitaires de France, 1990).
 
 
 
 


 
 

2) Afin d'éviter toute "compréhension" de ce que le terme contradiction veut dire chez Hegel, rendons-lui toute son obscurité: La relation de complémentarité entre deux opposés implique que chacun d'eux soit déjà l'autre de l'autre et accepte en lui-même l'être de l'autre pour se poser, en même temps qu'il l'exclut de soi comme autre. Dans le sillage d'Aristote, la pensée classique repose tout entière sur le principe d'une ontologie d'êtres finis et exclusifs l'un de l'autre où ce qui se contredit n'est rien et rien de ce qui est se contredit. La place centrale de la contradiction hégélienne consiste en ce qu'elle permet simultanément la critique et le dépassement par la Raison de toute logique d'entendement (Dictionnaire Critique du Marxisme, sous la direction de G. Labica, Presses Universitaires de France, 1982). La folie n'est plus alors le contraire de la raison, mais un de ses moments, de la même façon que la contradiction logique n'est pas manque de logique, mais un de ses moments.
 
 
 


 

3) "Le sens philosophique de l'épokhé consiste à mettre en lumière la différence essentielle de phénoménalité entre la conscience et le monde, afin de comprendre ultimement en quoi consiste la thèse du monde"; "Sa phénoménologie devra par principe suspendre la thèse de l'existence du monde" (Huneman (Ph.), Kulich (E.), Introduction à la phénoménologie, Armand Colin, Paris, 1997, pp. 20-21).
 
 
 
 


 

4) La conscience habituelle objectivante se pose toujours elle-même comme provisoire puisqu'elle a toujours à attendre l'assentiment d'autrui pour compléter ce qu'elle sait de n'importe quel objet.
 
 
 
 


 

5) "Au 18ème siècle, le common sense représente réellement une vertu aux yeux des anglo-saxons. On peut le définir comme la rationnalité ordinaire et les jugements qu'elle est censée porter" (Dumas (J.L), Histoire de la pensée, 2. Renaissance et siècle des Lumières, Taillandier, 1990, p. 206).