LA NEVROSE ACTUELLE
Séminaire du 22.09.99. Thierry TREMINE
 Programme du séminaire                                                                                                                                 Page d'accueil

1 La névrose : environnement épistémologique.

En psychiatrie, les modèles cliniques se situent dans une interface entre le corps anatomique et le corps social. Ils permettent des transactions de savoir. Ces transactions de savoir se situent entre une physiologisation des doctrines qui circulent dans le socius jusqu’à pratiquement leur anatomisation, et un autre pôle qui est la métaphorisation des sciences du biologique. Chaque syndrome, ou plutôt modèle, ressortit à ces 2 mouvements complémentaires, se situant plus ou moins d’un côté ou de l’autre sur une échelle bipolaire. Il y a donc lieu de souligner la faible cohérence interne de la psychiatrie. Les apports nouveaux, comme dans toute découverte scientifique, relèvent du contexte de la découverte, mais aussi d’un contexte de la justification que souligne les notions d’épistémé chez FOUCAULT ou de paradigme chez KUHN. Il est important de ne pas effacer un registre au profit de l’autre, car une découverte impose son propre rythme même si, au départ, elle vient justifier tout un effort socio-culturel pour qu’elle apparaisse.

Cependant, comme dans tout domaine scientifique, les sciences physiques ont toujours servi d’algorythme aux autres : le langage doit y être considéré comme inoffensif. La référence ultime à la médecine est encore anatomoclinique, pour construire le monde du regard sur le syndrome.

Or la névrose s’est construite en négatif du modèle anatomoclinique. Nous n’avons pas le temps ici de revenir sur son histoire, mais ,comme le souligne SAURI, elle a toujours présenté un halo connotatif imaginaire. Il faut ajouter à cela que contrairement à l’algorythme des sciences physiques, le langage dans la névrose constitue en lui même la source d’une herméneutique. La névrose représente donc, dès le départ, une pollution de la pureté de la science.
 
 

2 Le vrai

Je désigne par ce terme tout ce qui renvoie à l’observable, le reproductif, suivant le modèle expérimental de Claude BERNARD. Il faut y ajouter le temps " t " physique, spatial, qui s’oppose à la durée ou au temps vécu, le traumatisme daté, la causalité linéaire, le nomothétique, si l’on retient la distinction de DILTHEY. Nous opposerons ce monde du vrai à l’écoute, la narrativité du sujet ; le fonctionnel, l’idéographique, le singulier, et surtout le monde du conflit. Le consensus et la transparence s’oppose en effet au monde du conflit, et en général, au monde de l’intime.
 
 

3 Les fonctions du réel et la présentification

Pourquoi cette distinction et cette importance, du vrai et de la transparence d’un côté, du conflit et de l’intime de l’autre. Parce qu’elle détermine une forme d’organisation très actuelle des symptômes qu’ERHENBERG, dans son livre, a appelé la fatigue d’être soi et qui représente pour lui la victoire de JANET sur FREUD. En fait, il faut s’attacher à déterminer ce que peut être, chez JANET, la définition des fonctions du réel et le monde dans lequel elle s’inscrit, qui va aboutir à ce que ERHENBERG appelle les théories du déficit ou de la déficience, qui s’opposent aux théories du conflit.

Il a existé de tout temps une dimension déficitaire des névroses qu’on relève dans le syndrome d’usure décrit en 1831 ou, naturellement, dans la neurasténie de BEARD en 1869, dont l’étiologie pour l’auteur est sexuelle, et que Freud reprendra dans la notion de névrose actuelle, qu’il oppose aux psycho-névroses de défense dans leur absence de conflit et de transfert. La névrose anglaise est devenue la névrose américaine, et il n’est pas indifférent de voir qu’il s’agit essentiellement au départ de descriptions anglosaxonnes. JANET s’appuie, de plus, sur Maine de BIRAN et sur sa théorie de la volonté " je veux, donc je suis ", et sur l’introduction par RIBOT de la hiérarchie Jacksonienne des fonctions de la conscience et du réel. Il s’agit d’une séquence Darwinienne que reprendra EY.

JANET ébauche une théorie qui se centre autour de la notion de présentification. Il a été relevé, comme chez FREUD, qu’il s’agit d’une métaphorisation du modèle thermodynamique, où la force psychologique peut être assimilée aux calories alors que la tension psychologique peut être assimilée à la température. La hiérarchie des fonctions du réel chez JANET s’organise autour d’une psychologie du moi dans l’expérience. L’hystérie est ramenée au rétrécissement du champ de conscience. Il existe une possibilité du subconscient, qui se structure et se hiérarchise, dans la tradition Jacksonienne, par rapport à la pleine conscience.
 
 

4 La transparence et l’intime

Comme nous l’avons vu, la tradition des névroses actuelles précède très largement Freud : neurasthénie, angoisse, hypocondrie constituent déjà chez Freud, " le débarras actuel " du symptôme, qu’il reprendra cependant, dans une combinaison avec les psycho-névroses, dans un texte de 1912 sur le " déclenchement " de la névrose.

Ce problème est, en effet, très " actuel " lui-même puisque, comme nous le montrent des essayistes qui nous sont très utiles, l’individu tend à s’organiser dans un narcissisme du dehors (JEANNEAU). L’image est toute dans la vidéosphère (Régis DEBRAY) et la communication, que l’on peut opposer à la conversation, est plus importante que le contenu du message (BRETON).

ERHENBERG nous propose dans son livre de nous montrer la victoire du modèle dépressif comme un manque à être soi-même, une fatigue profonde de l’être, où l’intime, qui devait être silencieux, se révèle par l’inhibition et la psychasténie qui se dévoile. On peut en effet faire, une analogie entre l’intime silencieux, qui devient bruyant par le symptôme, avec le silence de l’organe puis son réveil, sa prise de sens dans l’hypocondrie. L’organe sera ici cérébral.
 
 

5 La fatigue du soi

Pour reprendre la phrase célèbre d’un ministre, le névrosé, dans la théorie Freudienne, est coupable alors que le dépressif actuel, dans son inhibition et son incapacité à répondre aux exigences de l’existence, est responsable. On a pu dire que nous passions du registre d’Œdipe à celui du narcissisme. ERHENBERG a justement noté que la dépression, ou ce que l’on qualifie comme tel - à savoir ce qui est traité par des IRS - n’est plus une maladie affective, qu’elle est dominée d’abord par l’inhibition. L’excellent terme de JEANNEAU de " narcissisme du dehors " s’accompagne d’une sorte de vidage intérieur que l’on retrouve particulièrement représenté dans les états limites, qui devient un diagnostic aussi inflationniste que celui d’état dépressif. Cela s’accompagne de la fin d’une dramatique du syndrome et d’un débat intérieur, qui n’est plus un débat relationnel mais un combat entre l’individu et lui-même, son même. Dans ce registre, la dépression est devenue un attracteur sémantique facilement expliquable ; les états dépressifs dit majeurs, c’est-à-dire caractérisés, sont devenus un syndrome valise qui, jusqu’aux protocoles de recherche, permettait l’inclusion très large de patients dans la définition de l’efficacité des produits. Il faut noter, cependant, que tout cela a une signification anthropologique fondamentale, c’est la difficulté d’être semblable constamment à soi-même selon le mot de NIETZSCHE. Nous sommes dans le registre d’une névrose sociale, dont nous allons voir les déterminants, d’un vide intérieur donnant parfois lieu, selon ERHENBERG, à un remplissage addictif. Il faut revenir aux notions de névrose du transfert qui, par rapport à la définition actuelle du symptôme, s’opèrent lorsqu’il y a passage du registre du regard à celui de l’écoute. Le produit prescrit est alors compris non plus comme un comblement du déficit ou une compensation d’inhibition. Nous verrons dans une observation clinique comment la honte du déficit ou de la dépendance aux produits au long des mois ou des années devient une culpabilité du désir de dépendance au thérapeute et fait entrer le patient dans le monde du transfert. Naturellement, cela s’opère avec une relative séparation entre le management des symptômes actuels et l’entrée dans le registre du conflit. Cette séparation peut être faite par le même thérapeute lorsque le produit devient instrument de médiation et de relation ou entre le médecin et le psychiatre ou le psychothérapeute, mais cette éventualité est beaucoup plus rare. Elle pose cependant actuellement des problèmes de qualification.
 
 

6 L’exemple de l’anxiété sociale

La névrose actuelle est un refoulé de la psychanalyse, dans ses relations au conflit et au transfert. La définition symptômale est d’abord actuelle, au sens freudien. On peut voir dans le schéma ci-contre, par exemple, qu’il s’agit d’un spectre global de la névrose construit sur le modèle de la co-morbidité et dont la description fait causalité pour le tout. Ce modèle névrotique obtient une unicité de la réponse thérapeutique et c’est un modèle fermé : tout échec est repris en terme de rechute, de récurrence ou de résistance. Il suffit d’une entrée quelconque pour y être de plain pied. Cette névrose du soi, de la présentification sociale ne nécessite pas toujours un au-delà de la prescription et de la relation de soutien, mais elle apparaît de plus en plus comme un passage obligé. On peut rentrer dans le modèle par des symptômes " in-put " variés, les pétales de la rosace.
 

Suit une observation de névrose phobique illustrant le passage de la névrose actuelle à la névrose de transfert.
 


7. Conclusions

La névrose actuelle n’a pas toujours le désir de devenir une névrose de transfert et si elle l’économise de façon satisfaisante, tant mieux. FREUD est toujours resté ferme sur le sujet. Cependant, ballotté dans les effets de mode (voir le numéro récent de l’hebdomadaire " Le Point " sur le sujet), il n’y a pas que le " soi " qui se fatigue, il y a actuellement le sujet qui s’ennuie et qui ne maîtrise plus sa présence, sa pensée, ses effets. C’est ce qui lui fait alors modifier sa demande, la dépendance étant maintenant un signifiant clé, négatif total de l’idéologie assertive dominante.
 
 

BIBLIOGRAPHIE

ERHENBERG. La fatigue d’être soi. PARIS. Odile Jacob 1998

FREUD. Sur les causes déclenchantes de la névrose. 1912

ELLENBERGER. La découverte de l’inconscient.

BRETON Ph. Le monde de la communication.

DEBRAY. Vie et mort de l’image en occident

WESTENBERG, DEN BOER. Social anxiety discorder. Syn-Thesis. Amsterdam 1999.

ROTH M., KERR T.A. Le concept de dépression névrotique : plaidoyer pour une réintégration. In " L’approche clinique en psychiatrie " sous la direction de Pierre Pichot et Werner Rein. Collection Les Empêcheurs de penser en rond. Institut Synthélabo 1999. Etrange plaidoyer pour une dépression consécutive à des mécanismes névrotiques sans que l’on puisse savoir en quoi ils consistent !