Kimura Bin : "L'Entre"
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Julien Fousson
15 mars 2001

 

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Le Professeur Kimura Bin est un psychiatre japonais. Né en 1931, il a fait ses études de médecine à la Faculté de médecine de Kyoto. Intéressé par les conceptions de Minkowski et Binswanger, il est solicité pour participer à la traduction en Japonais du livre "la schizophrénie" de ce dernier. Il s'intéresse alors à Heidegger et Husserl, et parallèlement à l'oeuvre de Nishida (1). Il termine sa formation de psychiatre en Allemagne (Munich puis Heidelberg) où il rencontre Tellenbach, Müller Süur et Blankenburg. De retour au Japon, il publiera plusieurs ouvrages sur la schizophrénie.

Celui que je vais vous présenter aujourd'hui date de 1988. Intitulé "l'Entre : une approche phénoménologique de la schizophrénie", il s'agit surtout de l'exposé de la pensée philosophique de Kimura Bin telle qu'il l'a élaborée au fil des années, et il n'y est finalement que peu question de schizophrénie.

L'originalité de cette pensée par rapport à nos conceptions occidentales ainsi que la densité de l'oeuvre en rendent l'exposé quelque peu aride, ce dont je m'excuse d'avance.

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Entre onozukara et mizukara (2)

Dans ce texte d'une conférence de 1987, Kimura Bin expose ce qu'il entend désigner par aïda dans son oeuvre à travers l'analyse sémantique de plusieurs mots japonais utilisés pour exprimer l'idée de Soi.

En Japonais, aïda signifie entre dans le sens d'un intervalle spatial ou temporel entre deux ou plusieurs choses. On utilise ce mot pour désigner l'"entre" des relations interpersonnels.

On peut en rapprocher le mot nin-gen (ou jin-kan) qui signifie littéralement "entre les êtres humains". Or, ce mot a subi au cours des siècles un important glissement de sens : originairement, il désignait le "monde de la vie parmi les semblables", et actuellement chacun des individus humains qui le constitue. On découvre à travers cette évolution sémantique une conception du monde et de l'individu très différente de la nôtre. Kimura Bin le souligne ainsi :

"Pour les Japonais, l'individu ne saurait d'abord être envisagé en tant que monade isolée instaurant après coup une relation avec les autres. Au contraire ils considèrent que l'aïda interpersonnel est premier et qu'ensuite seulement il s'actualise sous la forme du soi-même et des autres. (...)

Le soi-même en tant que tel comprend l'aïda comme un de ses moments consécutifs." (p.37)

Kimura se propose de conceptualiser cet aïda "intérieur", constitutif du Soi-même et qui est comme le "reflet" de l'aïda interpersonnel, en partant de l'étymologie de mizukara, mot désignant le soi-même, et dont le sinogramme, Ji, sert également à transcrire le mot onozukara. [cf figure ci-dessous]

L'aïda intra-subjectif est l'espace, ou plutôt le rapport entre mizukara (moi-même) et onozukara (de soi-même). Le soi intérieur authentique, dit Kimura, se trouve uniquement dans cet aïda intérieur.

De plus, quand je rencontre un autre, je suis en rapport avec les deux aspects contradictoires de l'autre - un individu réel fini (mizukara) et un infini transcendantal (onozukara) -, c'est-à-dire que l'autre se manifeste en tant qu'un autre aïda intérieur (tel que je le suis moi-même) et participe aussi de ce fait à la constitution de mon "moi".

En résumé, selon le champ significatif concerné s'élaborent des espaces relationnels où le moi se constitue en échange avec le milieu, l'autre ou lui-même. Ces espaces de relations bipolaires définissent différents aïda. Il faut noter que par aïda on entend à la fois et en même temps l'espace relationnel, la relation et les pôles de cette relation; c'est plus un acte qu'un espace.

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Le Sujet

Le livre "L'Entre", que je vais maintenant vous présenter, s'ouvre sur une hypothèse :

"Il y a quelque chose sur la terre que nous nommons "fond de la vie". Nous ne vivons que par le maintien d'une relation à ce fond dans le sentir et l'agir." (p. 23)

Il faut entendre par "vie" ce principe commun aux végétaux, animaux et humains, à l'arrière-plan des recherches scientifiques sur le vivant et que ces dernières ne pourront jamais objectiver. Kimura Bin reprend là la pensée du biologiste Viktor von Weizsäcker exposée dans son oeuvre "Der Gestaltkreis" (le cercle de la forme).

Pour ce dernier, le sujet est défini, indépendamment de toute conscience de soi, par d'une part le rapport du vivant à ce fond de la vie, et d'autre part comme point de rencontre de l'organisme et du milieu sans cesse rencontré. Perception et mouvement ne sont pas indépendants mais dans un rapport d'imbrication circulaire permettant de maintenir cette rencontre, et, donc, la cohérence du sujet.

Car cette rencontre, dit Weizsäcker, est menacée à chaque instant par les modifications de l'environnement. L'organisme surmonte ces "crises" par des modifications internes (par exemple, un mouvement) afin de maintenir la rencontre avec le milieu. Kimura en rapproche le concept de "continuité dans la discontinuité" de Nishida et écrit :

"Ce qui garantit cette continuité dans la discontinuité est l'imbrication de la perception et du mouvement de l'organisme. Weizsäcker nomme cette imbrication Gestaltkreis. (...)

Ce que Weizsäcker nomme sujet est ce principe de rencontre du vivant avec son monde, et le principe de maintien de la cohérence d'une rencontre par le cercle de la forme." (p. 31)

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Le noétique et le noématique

Kimura Bin prend comme objet d'étude l'acte musical, afin de dévoiler l'articulation entre le sujet en tant que rapport au fond de la vie et le sujet comme principe de rencontre avec le monde.

On peut distinguer 3 moments dans un acte musical, quand par exemple on joue d'un instrument :

1) l'acte créé dans le présent : la note jouée ou le silence respecté;

2) l'écoute active de la musique que l'on exécute : la note ou le silence précédent mais aussi l'ensemble de la mélodie exécutée jusque là;

3) l'attitude mentale d'anticipation des sons et des silences à venir.

Kimura distingue le premier moment, pur jaillissement dans l'instant présent, des deux autres qui le soutiennent. Il reprend pour cela les termes de noèse et de noème, en se démarquant de l'usage qu'en fait Husserl.

Alors que pour ce dernier la noèse est l'acte de la conscience constituant, comme noème, l'objet qu'il vise, Kimura voit dans la noèse l'activité pratique dans son aspect agissant, que cet activité soit un mouvement ou une perception; le noème, lui, désignant les représentations conscientes. Il explique ainsi son point de vue :

"En dégageant l'acte noétique des phénomènes de la conscience, et plus particulièrement en s'écartant de l'idée d'un moi transcendantal (Husserl), nous pouvons concevoir tout acte noétique sous son aspect dynamique et agissant vers le monde comme provenant du fond vital de l'organisme humain. Si nous prenons conscience, cette activité noétique agit vers le monde par la médiation des représentations noématiques transposées dans la conscience. Cette conception est proche de ce que Nishida appelait intuition agissante." (p. 48)

On voit que cette conception est également proche de celle du "cercle de la forme" et peut y être superposée.

Pour revenir à l'exemple de l'acte musical, Kimura le décrit ainsi :

"Le noétique concerne l'acte musical présent, instant après instant, en tant qu'activité vitale et immédiate. L'aspect noématique est la musique rendue consciente, et il est essentiel à la constitution d'une cohésion de la musique comme rapport entre le passé et l'avenir." (p. 35)

Il est important de noter que l'acte musical noétique n'est jamais conscient en tant que tel, tout comme le présent ne peut être conscient que dans la mise en perspective du passé et du futur, qui est d'ordre noématique. Néanmoins, ce premier des trois moments de l'acte musical, que Kimura qualifie de noétique, est tout aussi indispensable que les deux autres, ce qu'il exprime ainsi :

"Le monde que le musicien rencontre dans son jeu n'est pas un simple assemblage de sons physiques : la musique suppose l'activité vitale noétique et le jeu, comme un "rapport au fond de la vie", sans quoi la série noématique des sons et des silences ne deviendrait pas au-delà des stimulations auditives une forme (Gestalt) globale. (...)

Dans le jeu musical, le sujet se rapporte à la réalité extérieure à lui-même, mais aussi au fond vital de son activité musicale qui lui est intérieure." (p. 37)
 

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Métanoésis

La noèse, qui détermine les représentations noématiques et qui provient du fond de la vie, est elle-même déterminée par ce que Kimura Bin nomme principe métanoétique. Ce principe oriente en quelque sorte l'acte noétique dirigé vers le monde et correspond à différents aspects que nous allons maintenant voir.

1. Le "deuxième sujet"

Lorsqu'un musicien joue, nous l'avons vu, le son qu'il va jouer est déterminé par la spontanéité noétique du sujet mais l'est également par la musique déjà jouée, qui en quelque sorte s'autonomise et indique au sujet l'exécution qui devra se produire. On parle d'ailleurs parfois de musique vivante.

De même, lorsqu'un sujet parle, l'acte noétique s'exerce, mais il y a dans la conscience comme un "deuxième sujet" orientant ce que va dire le sujet en fonction de ce qui a été dit. Ce "deuxième sujet" est en somme une noétisation de l'énoncé et agit noétiquement. Il est en position métanoétique.

Un des aspects de l'aïda intra-subjectif est d'être entre le premier et le deuxième sujet, c'est-à-dire entre l'acte noétique et le principe métanoétique.

2. L'aïda intersubjectif comme principe métanoétique

Envisageons maintenant le cas d'un ensemble musical où les musiciens auraient tous un même niveau technique élevé et joueraient en harmonie.

Chaque musicien peut avoir par moment l'impression que la musique émane entièrement de son propre jeu, qu'elle nait dans sa conscience du fait de sa propre spontanéité noétique, et à d'autres moments voir sa conscience d'être soi absorbée par le lieu des autres interprètes. La musique circule ainsi dans un "espace virtuel".

Si l'on considère l'ensemble musical comme un système fermé, cet espace est l'aïda des musiciens (aïda inter-subjectif). Kimura l'exprime ainsi :

"Le musicien appréhende cet aïda comme intérieur à sa subjectivité mais le trouve en même temps dans l'extérieur avec les autres musiciens. Cette double structure paradoxale d'être intra aussi bien qu'inter résulte de ce que l'aïda est un phénomène authentiquement noétique, mais qui n'est conscient que noématiquement." (p. 41)

Autrement dit, le sujet ne peut rencontrer intersubjectivement le monde de la musique que dans la mesure où il est lié par son activité noétique au fond vital commun à tous. Cette activité est déterminée dans cet "espace virtuel" intersubjectif. L'aïda inter-subjectif, qui embrasse l'aïda intra-subjectif, peut donc aussi être vu comme principe métanoétique déterminant l'acte noétique indivduel.

3. Le principe métanoétique comme acte de "différance"

L'acte noétique du musicien n'est pas uniquement fondé sur la musique déjà jouée mais également sur la musique prévue. En rapprochant ce fait du concept d' "être en avant de soi" de Heidegger et de celui de "différance" chez Derrida (avec un "a", néologisme créé à partir du verbe différer dans le sens de retarder), Kimura conclue :

"Le principe métanoétique comme rapport pratique et agissant au monde qui s'enracine dans le fond de la vie est un principe temporel "en avant" de chaque acte noétique du présent, un principe qui "diffère" l'acte et lui donne la direction vers l'avenir." (p. 76)
 

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Le sens commun

On comprendra mieux ce principe métanoétique en notant qu'il est proche du sens commun supposé par de nombreux auteurs et présenté pour la première fois par Aristote. Pour ce dernier, le sens commun est le sens partagé par tous les sens particuliers tels que le mouvement, le repos, la figure, la grandeur, le nombre ou l'unité. C'est aussi le sens fondamental à l'oeuvre dans chaque sensation particulière comme la vue ou le goût. Par le sens commun, on peut comparer deux sensations différentes telles que le blanc et le sucré. C'est grâce à lui que l'on peut faire usage de métaphores. Kimura le décrit ainsi :

"Le sens commun, tout en étant un principe de vie s'objectivant et se verbalisant difficilement, accompagne toujours telle une ombre nos objectivations et verbalisations des évènements en y ajoutant diverses nuances sous forme de métaphores qui enrichissent notre quotidien." (p. 64)
 

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Du Sujet au Soi

La deuxième partie du livre est consacrée à l'étude phénoménologique des relations interpersonnelles. En effet, c'est du fait des relations interpersonnelles que l'individu n'est pas seulement un sujet au sens de Weizsäcker mais un Soi (Ji-ko). Kimura écrit :

"L'essence du soi est le sujet comme principe noétique, mais ce sujet étant soi implique nécessairement une représentation noématique de soi." (p. 89)

"L'humain vit en tant que soi subjectif son rapport noétique à la réalité en se maintenant dans des relations sociales avec autrui. Ce n'est pas qu'il s'agisse d'une relation entre le soi subjectif d'une part et l'Autre d'autre part. Le rapport noétique entre moi et l'Autre est le soi subjectif, et la représentation noématique du soi n'est que le représentant que l'aïda noétique reflète dans la conscience." (p. 91)

Mais comment s'établissent de telles représentations noématiques de soi ? C'est ce à quoi Kimura va tenter de répondre, en soulignant d'emblée qu'elles sont certainement indissociables de la fonction du langage spécifique à l'humain.

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Entre moi et toi

Le philosophe Martin Buber décrit dans "Principe de dialogue" ce qu'il nomme "l'entre-deux" (Zwischen) et proche du concept d'aïda. Il écrit :

"Si un évènement se manifeste pour moi, il peut être divisé en monde et en âme, en phénomène "extérieur" et en impression "intérieure". Quand moi et toi s'engendre mutuellement (l'expression est forcée, mais pratiquement on ne peut en utiliser d'autre), ce fait ne peut se réduire à une division par deux : il reste quelque chose en un lieu où l'âme est finie et où le monde n'a pas encore commencé. Ce reste est essentiel... Le monde de l'entre-deux existe sur la crête étroite où moi et toi se rencontrent, au-delà de la subjectivité et en deçà de l'objectivité." (cité p. 92)

Pour Buber, le je n'existe que dans une relation avec un tu ou un cela. Néanmoins, il note que la relation peut être de l'ordre du tu même avec un objet inanimé. Kimura l'explique ainsi :

"La différence entre le tu et le cela peut être notée comme un partage de l'accent que je donne dans mes relations au monde entre les moments noétiques et noématiques." (p. 97)

Il remarque à ce propos que l'effet de certains toxiques comme l'alcool ou le LSD, en mettant l'accent sur l'aspect noétique, peut faire paraître tout ce qui est rencontré comme des tu.

Des conceptions de Buber (qui débouchent sur des considérations religieuses), Kimura retient que l'aïda fonctionne comme un lieu où le soi subjectif peut s'établir dans les relations avec un tu particulier. Néanmoins, il souligne que l'autre, avant d'être un tu, est un autre effrayant menaçant ma subjectivité et rejoint par là la pensée de Nishida.
 

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L'absolument autre

Nishida écrit en effet dans "Moi et toi" :

"Ce qui est pensé comme toi pour moi doit être absolument autre. Les choses sont encore dans le lieu du moi, mais le toi doit être absolument indépendant du moi et lui être extérieur." (cité p. 105)

Pourtant cet absolument autre n'est pas distinct de moi, il est au fondement du moi :

"Quand le soi se voit lui-même dans le soi, il y voit aussi l'absolument autre, et cet absolument autre lui-même est soi." (cité p. 106)

En effet, sans cet absolument autre, le moi ne pourrait pas se constituer :

"Que je vois l'absolument autre en moi signifie inversement que je me vois en voyant cet absolument autre et c'est par là que ma subjectivité parvient à se constituer." (cité p. 131)

Je et tu peuvent en quelque sorte se rencontrer par la médiation (négative) de cet absolument autre qui est en leur propre fond :

"Moi et toi reconnaissent l'absolument autre dans leur propre fond et ils se déplacent tous deux vers l'absolument autre; tout en étant absolument autres, moi et toi se déplacent l'un vers l'autre." (cité p. 106)

Kimura reprend cette idée ainsi :

"Quand j'aborde un inconnu, c'est une même tension qui domine entre moi et lui. L'aïda inter-subjectif n'est ni un un interstice spatial, ni même psychologique, j'y suis affecté par la rencontre avec autrui et je touche en mon propre fond l'altérité absolue. Par cet absolument autre, le temps et le mouvement vers le futur peuvent exister. L'inconnu, comme tension vers le futur, est identique à l'inconnu qu'est autrui et à l'inconnu de l'absolument autre vécu dans aïda.

Le futur et l'autre comme inconnus sont des ombres reflétant le mystère de la mort dans le présent de la vie. Il s'agit de la même chose que le rapport au fond de la vie en tant qu'aspect de la subjectivité telle que la conçoit Weizsäcker. (...)

L'autre, pour tout être social, est un rival dans la lutte pour la survie, est le négatif du désir de soi. Maintenir la subjectivité dans son rapport au fond de la vie nécessite de nier chaque fois l'autre comme négativité pour le soi. Cette négation de l'autre est rendue possible par la transformation de l'altérité absolue noétique en une représentation noématique parvenant à la conscience, c'est-à-dire qu'il devient, sous mon pouvoir, comme un autre relatif pour moi.

(...) Et le langage qui change l'apparence de l'évènement noétique en un signe noématique permet aussi de s'assurer du caractère désormais inoffensif de l'autre." (p. 113-115)

Ce qui fait dire à Kimura que le langage est l'équivalent noématique de l'aïda noétique, sa projection sur le plan de la conscience.
 

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La schizophrénie comme pathologie de l'aïda

La schizophrénie est d'abord liée à la non-constitution du soi telle qu'on a pu l'évoquer à traver la pensée de Nishida :

"Pathologie de la relation, pathologie d'aïda, la schizophrénie doit avant tout être comprise comme étant due à l'insuffisance d'exercice de l'absolument autre qui est le lieu de la constitution du soi. Cet absolument autre, qui apparait alors sous la forme d'un autre terrifiant en révélant son altérité absolue, est l'inconnu menaçant la subjectivité en son fondement." (p.130)

"L'absolument autre, par lequel le soi devrait se constituer comme soi et non comme autre, joue un rôle, moins comme fondement du soi, que comme fondement de l'autre." (p.129)

Une autre caractéristique importante de la schizophrénie est celle du non-naturel dans le rapport au monde, déjà décrite par Binswanger ("dissolution de la cohérence naturelle du vécu") et Blankenburg ("perte de l'évidence naturelle").

Si l'on repense aux termes dont nous avons envisagé l'étymologie au début de cet exposé, on voit que :

"Se rapporter au fond de la vie par des actes noétiques veut dire puiser dans le soi (mizukara) le "de soi-même" (onozukara) indéterminé et le déterminer comme soi." (p. 142)

Ou encore, dit autrement :

"La spontanéité originaire du fond de la vie de Ji s'écoule vers l'individualité du soi incarné en mizukara, et le naturel d'un tel passage s'appelle "de soi-même" (onozukara)." (p. 144)

Dans cette conception, nous pouvons dire qu'il est question dans la schizophrénie d'une non-constitution aussi bien d'onozukara que de mizukara.
 
 

Mizukara
s'originant de (kara) mon propre corps, ma propre chair (mi)
Onozukara
de (kara) soi-même (ono)
dans le sens impersonnel d'un mouvement spontané, d'un changement de chose
Ji-ko : moi, soi, Moi, Soi
Ji-bun : tout ce qui a rapport à l'action propre du sujet
(bun = morceau)
Ji-nen : être en tant que Ji est à l'origine
(nen = ce qui est ainsi de soi-même)
Shi-zen : nature
(seule la prononciation change)
Ji : mouvement spontané à partir d'un point d'origine
"Ji intériorisé"
la spontanéité impersonnelle du Ji se manifeste dans mon corps
"Ji extériorisé"
le Ji est perçu dans le monde extérieur de la nature
différents modes de l'automanifestation du mouvement spontané universel à partir d'un point d'origine

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NOTES
1 Nishida Kitaro (1870-1945) : philosophe japonais, professeur à l'université de Kyoto.

2 "Entre onozukara et mizukara" dans "Ecrits de psychopathologie phénoménologique", PUF, 1992