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ENSEIGNER LES PERVERSIONS
Didier MION - 27 Avril 2000

 

Nous avons intitulé ce séminaire : " enseigner  les perversions " il est donc nécessaire dans un préalable de reprendre quelques précisions concernant l’usage des termes et les définitions.
Le mot " perversion " est souvent utilisé dans un sens dévoyé. Il suffit de constater combien dans notre pratique ou dans nos échanges de travail il nous arrive d’affirmer "  c’est un pervers " sans étayer cette attribution , comme si cette désignation était relégué à l’affaire des autres.
En fait , la perversion est l’affaire de chacun par la structure même de la dynamique du désir.
C’est PIERA AULAGNIER qui disait "  de la question perverse nous ne pouvons jamais dire qu’elle ne nous regarde pas, sûrs que nous sommes qu’elle, de toute façon, nous regarde "
Souvent, dans le langage courant ,quand nous employons le mot pervers nous désignons en fait ce que recouvre le terme "  perversité ".
En 1950, Henry EY dans son étude n° 13 intitulée "  Perversité et perversion " s’efforce de distinguer les deux concepts. La perversité est l’héritière de la perversion des instincts sociaux de DUPRE et elle s’inscrit dans un registre moral plus que pathologique. Elle a gardé des auteurs classiques le souffle de la malignité que EY définit comme l’attrait et le désir du mal, la volonté de mal faire, le plaisir de faire souffrir. Il s’agit d’un choix immoral dans les règles normatives du comportement.
Henry EY reconnaît la difficulté lorsqu’il s’agit de distinguer la perversité de la perversion puisque nous ne disposons alors que d’un seul mot celui de " pervers " pour  désigner les sujets marqués du sceau de la perversité et ceux qui sont atteints de perversion selon la définition qui concerne la sexualité
Ces difficultés de langage ne sont guère éclairées par les classifications nouvelles qui se veulent athéoriques.
Le mot "perversion " trop connoté du coté de la morale et de la norme disparaît au profit de termes nouveaux : paraphilie dans le D.S.M. III , troubles de la préférence sexuelle dans la C.I.M. 10.
Le catalogue est moins exhaustif que celui de KRAFFT-EBING et avec le parti pris purement descriptif, on est revenu à une clinique des conduites et des comportements. Mais on peut être exhibitionniste dans un registre de névrose ou de psychose. Nous voyons que ce n’est pas la conduite en soi qui définit la structure.
L’abandon de toute considération psychopathologique et la disparition du terme de perversion n’ont pas pour autant évacué les amalgames et les confusions avec la notion de perversité.
En fait , le champ des perversions ne gagne rien à s’étendre au-delà de la sexualité.
On admettra avec FREUD qu’il n’y a de perversions que sexuelles.
La définition des perversions donnée par LAPLANCHE et PONTALIS apparaît pourtant d’une sécheresse toute normative :  " Déviation par rapport à l’acte sexuel normal , défini comme coït visant à obtenir l’orgasme par pénétration génitale avec une personne du sexe opposé ".
La norme dont il est question dans cette définition n’est pas celle du consensus social ou du groupe humain majoritaire. Elle est celle de l’aboutissement , de l’achèvement des conflits structurants et des processus de maturation qui permettent d’accéder à une sexualité adulte.
Cette maturation serait fragile comme l’indique FREUD.Il écrit : "  l’intérêt sexuel exclusif de l’homme pour la femme ne va pas de soi… mais bien un problème qui mérite d’être éclairci ".
En fait ,nous ne gagnons rien à aliéner la problématique des perversions à un univers de normes. Les normes évoluent. Par exemple, l’onanisme a longtemps figuré au rang des perversions et puis à l’ère du SIDA , on a revalorisé dans le cadre de ce que certains milieux nomment safer sexe des regroupements masturbatoires. Hier on brûlait ceux qu’on appelait les invertis , aujourd’hui le PACS donne une reconnaissance sociale. A l’opposé, une sexualité dite normale au sens de cette définition peut en fait être addictive ou compulsive et donc reposer sur des mécanisme pervers.
Il convient donc d’être rigoureux dans l’approche clinique de ces manifestations qui interpellent sans relâche la normativité comme la normalité.
Quelques précisions pour la définition :
- nous ne devons parler de perversion sexuelle que si nous faisons référence au comportement sexuel habituel d’un individu plutôt qu’à une manifestation occasionnelle où à un pur fantasme.
-Cette conduite doit avoir un caractère tenace, répétitif, selon une exclusivité et une fixité. FREUD parle d’un orgasme subordonné à des conditions impérieuses et externes ( fétichisme, exhibitionnisme)
Pour appuyer ces précisions je cite JOYCE MAC DOUGALL :
" Même si le sujet fait des trucs que tout le monde ne fait pas avec un miroir, un fouet, des matières fécales, un objet du même sexe ou tout autre objet qui peut paraître inapproprié au but supposé, ce sujet pervers n’est pas que cela. On ne peut définir un être par un acte, même s’il s’agit d’un acte symptôme car ce symptôme peut correspondre à des structures différentes ".
Elle récuse le terme " pervers " et elle affirme que pour elle la sexualité perverse n’est qu’une manifestation d’un état où s’entremêlent dépression, angoisse , inhibition et symptômes psychosomatiques.
’où l’importance de s’appuyer sur une base métapsychologique susceptible d’élucider les fondements de la structure des perversions . Pour tout sujet la structuration du psychisme s’effectue sous l’effet des amours oedipiennes c’est à dire par le rapport que le sujet entretient à la fonction phallique. L’ordre de la structure est institué par l’ordre phallique.

FREUD
-1905 :trois essais sur la théorie de la sexualité
C’est la notion de pulsion qui va permettre à FREUD de définir le champ psychopathologique des perversions avec le chapitre " les aberrations sexuelles ".
Notons au préalable que ce processus de naissance de la pulsion sexuelle s’étaye sur le besoin avec lequel elle est initialement confondue et trouve son autonomie grâce à un changement d’objet. On passe du lait au sein par un double déplacement, à la fois métonymique (par contiguïté) et métaphorique ( par analogie), ce qui donne à la sexualité sa profonde spécificité et la constitue dans la déviation même du besoin physiologique , c’est à dire fondamentalement comme perversion.
La sexualité comme déviation, c‘est à dire comme perversion de l’ordre biologique, c’est bien la thèse révolutionnaire que FREUD soutient dans les TROIS ESSAIS
En ce sens , ceci corrobore la phrase de LACAN lorsqu’il dit que la perversion est :
"  l’accouplement direct de la conduite sexuelle avec ce qui est sa vérité , c’est à dire , son amoralité ".
Alors FREUD décrit deux déterminations possibles à cette pulsion
1 - une déviation relative à l’objet de la pulsion sexuelle(inversion, pédophilie et animaux pris comme objet sexuel)
2 -une déviation relative à son but. (transgressions anatomiques et fixations de buts sexuels préliminaire
Donc pour FREUD, les aberrations sexuelles sont dès le départ, ancrées au concept de pulsion. Evidemment, ce n’est pas la pulsion qui est perverse comme on peut l’ entendre dire.
Il est à noter que l’introduction de la notion de perversion n’apparaît pas immédiatement dans la classification de FREUD.
Alors que l’inversion est décrite comme déviation par rapport à l’objet, le terme de perversion n’est explicitement introduit par FREUD qu’au chapitre des déviations se rapportant au but sexuel.
Dans ce cadre ,il inclut " des arrêts à certains rapports intermédiaires qui, normalement doivent être franchis rapidement pour atteindre le but sexuel final ".
Donc en évoquant la familiarité du processus sexuel pervers avec le processus sexuel normal, FREUD se démarque des classiques qui décrivaient la perversion comme déviation. Ici la perversion s’inscrit dans la norme elle même. Il effectue ensuite un rapprochement entre névrose et perversion. Il précise que les symptômes névrotiques représentent une conversion de pulsions sexuelles qui seraient qualifiées de perverses si elles s’exprimaient dans des actes . C’est la formule: "  la névrose est pour ainsi dire le négatif de la perversion ".
L’étude des perversions conduit FREUD à l’idée de pulsion partielle. Chez le névrosé comme chez l’enfant les pulsions partielles organisent la vie sexuelle. C’est pourquoi FREUD parle de perversité polymorphe chez l’enfant. Ces composantes pulsionnelles de la sexualité d’abord autonomes ,s’organiseront secondairement au moment de la puberté, autour du primat de la zone génitale. Programme assez utopique!
Mais FREUD nous rassure en disant que ces pulsions partielles peuvent toutefois persister comme tendances perverses dans l’acte sexuel sous forme de "  plaisir préliminaire ".
L’organisation des perversions chez l’adulte trouve alors son explication légitime dans la réapparition d’une ou plusieurs composantes de la sexualité infantile.
Les perversions découlent d’une régression à un stade antérieur de l’évolution libidinale où le sujet resterait électivement fixé .Il s’agit bien d’insister sur ce caractère électivement fixé pour que l’on puisse parler de perversion parce que l’idée d’une génitalité aboutie et oblative n’est qu’une fiction. En fait cette fixation se rapporte à quelque chose de relatif plutôt que d’absolu.
LACAN apportera un éclairage utile concernant la notion de pulsion ne serait-ce qu’en disant qu’il n’y a de pulsion que partielle. D’autre part il critiquera la sacro-sainte notion de maturation pulsionnelle. Par exemple, il dit que le passage de la pulsion orale a la pulsion anale ne s’effectue pas selon une quelconque notion de maturation mais par l’inversion de la demande de l’autre. Il est évident que ces conceptualisation ont leurs incidence dans la visée thérapeutique.
Plus tard , en 1915 dans Pulsions et destins des pulsions ,FREUD décrit quatre types de destins pulsionnels :
- le retournement dans son contraire
- le retournement sur la personne propre
- le refoulement
- la sublimation
Ces deux premiers destins permettent à FREUD de rendre compte du binaire sadisme / masochisme et de voyeurisme / exhibitionnisme qui correspondent au retournement de la pulsion de l’activité à la passivité.
La conception plus structurale de FREUD sur les perversions se construira avec l’introduction de trois nouveaux concepts :
- Déni de la réalité
- déni de la castration
- clivage du moi
La notion de déni en relation avec la castration est introduite par FREUD en 1923 .
Lors de la vue des organes génitaux d’une petite fille les enfants " nient ce manque et croient voir malgré tout un membre ;ils jettent un voile sur la contradiction entre observation et préjugé ".  Le manque de pénis est conçu comme le résultat d’une castration.
Première réaction de défense par négation : " ils nient ce manque "
Deuxième réaction qui préfigure le concept de déni : " ils jettent un voile "
Ce déni(Verleugnung) sera aussi pour FREUD le mécanisme de défense de la psychose où la réalité est déniée pour être remplacée par la construction délirant. En fait, certains auteurs traduisent Verleugnung par désaveu qui se distingue de la dénégation (Verneinung) qui elle se manifeste dans un discours patent. Il n’est pas nommément dit "  la femme a un pénis donc elle n’a pas été castrée par le père ". Le désaveu est plus attaché à la perception et aux représentations qu’à la verbalisation. C’est le démenti de ce qu’on a vu.
Plus tard en 1927 avec " Le fétichiste "qui représente un véritable modèle,   il va associer au déni de la réalité un autre processus métapsychologique, celui de clivage du moi.
Pour le fétichiste ,le déni de la réalité porte électivement sur l’absence de pénis chez la mère (chez la femme). " Le fétiche est le substitut du phallus de la femme "
Il s’agit de conjurer l’angoisse de castration liée à la perception de la réalité.
En cela ,il y a clivage  car il y a perception de la réalité (il n’y a pas de pénis) mais aussitôt sous l’effet de ce clivage le déni exprime : non ce n’est pas vrai car si la  " femme est châtrée, une menace pèse sur mon propre pénis "
C’est le fameux " je sais bien mais quand même " inventé par OCTAVE MANNONI. On peut dire que dans cette phrase le "  mais quand même " représente le fétiche .

LES APPORTS LACANIENS
L’organisation perverse ne peut être comprise qu’en référence à l’attribution phallique dans l’économie du désir du sujet. Comment cette situation se met elle en place ?
Avant l’œdipe l’enfant s’identifie au phallus maternel en tant qu’il s’institue comme seul et unique objet du désir de la mère. Il est soumis à l’ordre des signifiants maternels.
La mère est en place de grand Autre, lieu du trésor des signifiants . Elle est aussi instigatrice de jouissance qui surgit sans que l’enfant l’ait demandé. L’enfant s’identifie au désir de sa mère et s’institue comme objet susceptible de combler le manque de la mère. L’enfant construit une équivalence entre le manque de pénis et l’énigme de la demande. La demande maternelle amène l’enfant à s’identifier au phallus. Lorsqu’ elle lui propose de la nourriture, l’enfant la comble en acceptant ce qu’elle lui offre. Il est donc phallus par les voies orales. Cette mère est équipée du phallus et l’enfant s’identifie a elle. Ces temps permettent de comprendre la prévalence d’un seul symbole , le phallus pour garçon et fille.
C’est alors que la figure paternelle va se poser comme instance médiatrice du désir.
Ceci suppose que le père soit reconnu dans sa dimension symbolique. Il faut pour cela que sa parole soit signifié dans le discours de la mère comme instance tierce.
Dans ce cas le père est désormais investi du statut de phallus rival de l’enfant auprès de la mère.
C’est le discours de la mère qui permet à l’enfant de se projeter vers un ailleurs qui le détache de l’enjeu du désir immédiat qu’il négocie avec la mère .Il abandonnera le registre de l’être( être le phallus) au bénéfice du registre de l’avoir .
Si la mère ne désire pas ailleurs qu’en son fils l’identification perverse se structure. C’est ce que Lacan articule dans cette maxime : " à sainte femme , fils pervers "
Cette structure perverse qui n’inscrit pas le père dans le registre de la rivalité phallique est à l’origine de deux élément symptomatiques, le défi et la transgression .
Le pervers se fige dans une représentation d’un manque non symbolisable qui l’aliène et le condamne à une contestation psychique inépuisable parallèlement au désaveu de la castration de la mère.
Il est figé dans une confusion entre renoncer au désir et renoncer à l’objet primordial de son désir .
JOYCE MAC DOUGALL fait remarquer que l’enfant destiné à une solution perverse de la sexualité a rarement connu dans l’enfance la masturbation normale .Elle est perverti où déviée de son but normal. Elle cite SPITZ lorsqu’il fait remarquer que si la relation précoce à la mère est perturbée , le génital play est remplacé par des balancement du corps, des coups de tête ou des jeux avec des excréments.
La perversion revient a inventer une néo- sexualité afin de garder intacte les limites du corps, de pouvoir posséder un corps érogène et protéger ce corps contre le retournement sadique primitif ou l’autoérotisme se transforme en autoagressivité.Un des triomphe de la sexualité perverse serait alors l’érotisation de cette pulsion mortifère.
Telle sont les conceptions de MAC DOUGALL qui considère que la sexualité perverse n’est ni une simple régression ni une déviation de la pulsion sexuelle. C’est une néo- réalité qui est le fruit du travail psychique de l’enfant aux prise avec les problèmes inconscients de ses parents.
Cette vision aura ses incidences dans la thérapeutique où l’on constate l’enracinement de la sexualité perverse et la difficulté à s’en détacher sinon parfois au prix de symptômes psychotiques.
Il est évident que cette distorsion dans l’instauration de la métaphore paternelle jouxte la situation de la psychose. Mais dans la perversion l’élément nom-du-père est bien advenu comme élément de substitution au signifiant du désir de la mère .
Mais si le signifiant phallique est référé en lieu et place d’une attribution paternelle ,il n’en reste pas moins que cette attribution demeure à l’état de supposition, étant donné que le père n’a pas su en faire la preuve.
Aussi, le sujet va t-il tenter de séduire toujours plus loin l’objet de sa jouissance , pour confirmer la disqualification de l’instance paternelle ,fort de cette invite maternelle à la tourner en dérision. Défi et transgression trouvent là leur origine.
La perversion commence lorsque à partir de l’instance totémique de la paternité , rien ne permet de symboliser le phallus, si ce n’est le fétiche. C’est une sorte d’appel au père . Ce qui fait écrire par LACAN , " père-version. ". La perversion peut être comprise comme limite, comme mode structural que trouve le sujet pour limiter la jouissance.

Le fantasme dans la perversion
Lacan a développé cette question à partir de la fiction que l’œuvre de SADE a proposé dans sa variante sadique. Dans la perversion, le fantasme s’écrit a<>S soit dans le sens rétrograde de sa formule chez le névrosé S<>a .Le poinçon s’y lisant " désir de ".
S barré car écartelé entre énoncé et énonciation. Petit a , objet cause du désir.
Cette inversion de la formule écrit le fait que le sujet pervers tente de se faire équivaloir à l’objet.
Dans ce fantasme décrit par FREUD "  un enfant est battu ",nous voyons qu’il se décline à la troisième personne . "On " bat. Le sujet " je " est absent. Il y a désubejctivation dans l’articulation fantasmatique.
Lacan écrit à la place du désir de l’agent non pas le sujet actif mais l’objet. C’est le moyen du pervers : se faire objet.
Etymologiquement, " pervertere "c’est renversement, le sujet se fait objet.
Sur la scène imaginaire, le pervers est sujet actif, remuant, infatigable …par contre dans la structure il n’est pas agent mais objet figé et rigide .
Cette identification à l’objet (a) explique que pour Lacan la référence clinique pour la logique perverse sera , le masochisme.
Lacan y insiste, le masochiste ne se fait objet que sur une scène et de toute façon, s’atteindre comme objet est impossible. Ce que le masochiste ignore c’est que cet objet , hors signifiant, qu’il tente de se faire être, est pris, ligoté, dans son fantasme ., soit dans cette visée d’être . Cette place du masochiste dans le champ des perversions permet de saisir qu’il y a toujours , structuralement , une base masochiste dans toute manifestation perverse.
La position perverse consiste à restituer le petit a au grand A. " le sujet dans la perversion prend soin lui-même de suppléer à cette faille de l’Autre.
La clinique le démontre, en se faisant (a) , le pervers se voue à parer la béance radicale dans l’ordre signifiant qu’inscrit le manque phallique .
Structuralement, c’est la thèse freudienne à propos du fétichisme .Le sujet pervers tente d’annuler la castration maternelle. Le fétiche concerne le souci de conserver intact l’objet de l’amour oedipienne, la mère. Deux visée : assurer la jouissance de l’Autre et s’imaginer être l’Autre pour les moyens utilisé. En fait c’est un échec systématique et répété. Se faire objet, instrument, fétiche échoue à produire la jouissance de l’Autre. Du reste, vouloir la localiser est impossible puisqu’elle n’est nulle part. C’est un véritable non-lieu.
Il faut souvent faire violence à l’autre pour accéder à la jouissance du corps, c’est le cas de la pédophilie où l’enfant n’est pas respecté .La vie amoureuse du pervers consiste a procurer la jouissance sans passer par le désir de l’Autre. Le consentement et la convergence avec le désir du partenaire élimine la satisfaction perverse. C’est pourquoi, il ‘y a pas de complémentarité des perversions . ( le sadique n’est pas le partenaire du masochiste). Le pervers place un objet impersonnel entre son désir et son complice ; cet objet peut être un fantasme stéréotypé, un gadget . Il est aliéné de lui même aussi bien que de l’objet de son désir.
MASUD KHAN utilise le terme d’idolâtrie pour caractériser la relation de la mère avec son enfant. Elle prodiguait au nourrisson des soins corporels intensifs, mais de manière impersonnelle, le traitant comme sa "  création –chose ".
Il parle d’idolâtrie car elle comporte l’exploitation mentale des composantes pulsionnelles et des processus psychiques primaires dans la relation à un objet extérieur réel.
Dans cette relation l’enfant commence très tôt à comprendre que ce que la mère investit, c’est quelque chose de très spécial qui est en lui et non la personne dans sa totalité.
Il apprend à tolérer cette dissociation dans l’expérience de soi et se fait peu à peu de sa mère une complice pour maintenir cet objet créé spécial. Le stade suivant est celui où l’enfant internalise ce soi idolâtré créé par la mère.
Il s’agit de la phase oedipienne, lorsque la mère prend subitement conscience de l’intensité de son attachement et de la manière dont elle a investi son enfant. Elle se retire soudainement.
L’enfant semble faire à retardement , l’expérience d’ un traumatisme de séparation. C’est dans cette menace d’annihilation que s’intensifie l’investissement du soi intériorisé.
C’est ce type de relation précoce qui se rejoue avec le partenaire sexuel. Il s’agit d’une répétition de cette idolâtrie. L’aventure est passagère ne comportant pas d’engagement.
C’ est ce qui se répètera ultérieurement par exemple le cas des formes perverses de l’homosexualité. Celle qui concerne la drague effrénée, la défonce mortifiée, l’impossibilité d’investir un partenaire où d’intégrer l’élan tendre comme le dit FREUD.
La personne va tenter de réparer son propre soi idolâtré par une identification projective à un autre qui représenta son propre soi interne idolâtré. Tant qu’il se situera dans cette démarche ; il ne pourra établir de relation stable, durable et satisfaisante. MASUD KHAN distingue trois composantes dans la relation du pervers à lui même et à son objet :
-l’idolâtrie (l’objet est traité comme fétiche sacré)
-l’idéalisation( seul un aspect de l’objet est investi d’une vertu excessive)
-l’identification narcissique( l’objet est utilisé pour refléter le soi dans une tentative défensive visant à cacher des sentiments d’infériorité et d’indignité éprouvés par le sujet )

PERVERSION ET SEXUALITE FEMININE
Nous constatons la rareté de la structure perverse chez les femmes, pourtant FREUD en 1919 décrit la fréquence féminine du fantasme "  un enfant est battu " .
Il intitule sont article "  contribution à la connaissance de la genèse des perversions sexuelles car en fait cet type de fantasme constitue un trait primaire de perversion.
Peu importe s’il n’a pas ce contenu, en tout cas le modèle de lecture d’un fantasme pervers est exemplaire.
Le décryptage abouti a trois phases :
1 ) le père bat l’enfant . Etape qui va être complétée par l’enfant, haï par moi. Donc le père n’aime que moi et le refoulement suite à la culpabilité oedipienne va amener la phase suivante.
2) Je suis battue par le père. C’est cette deuxième phase inconsciente , masochiste qui doit être construite dans l’analyse
3)configuration définitive : vraisemblablement je regarde . La personne qui bat n’est jamais le père au dire du patient mais un substitut ( professeur ou autre).
FREUD constatant que les enfants battus sont des garçons précise que dans cette phase sadique la fille se détourne de l’amour génital incestueux pour le père. Elle s’identifie au garçon . Elle rompt avec le rôle féminin pour le complexe de virilité.
A cette étape de sa recherche le masochisme n’est pas primaire, il n’est que le retournement du sadisme contre la personne propre. On sait que plus tard , le masochisme sera compris comme primaire.
FREUD en 1924 pose que la pulsion de mort est au principe de trois masochisme :
- l’érogène qui est le premier (condition de l’excitation sexuelle)
- le masochisme féminin en tant que manifestation de la féminité
- le masochisme moral en tant que norme de la conduite .
Il isole pourtant le masochisme féminin comme structure particulière
LACAN ira plus loin en disant que la structure du masochisme féminin est d’être un fantasme masculin. Il est mis à jour par l’homme La femme entre dans ce fantasme masculin par réflexion. Il y a un fantasme masculin auquel pour des raisons obscurs ,la femme collabore.
Dans " la logique du fantasme "il dit que la femme entre dans les grandes positions perverses par réflexion de ce qu’elle introduit en elle concernant le manque de jouissance de l’homme.
Et comme ce qui manque à l’homme de jouissance, c’est la femme qui le détient, elle se prête au désir de l’autre comme désirante, puisque le désir ,c’est le désir de l’Autre.
C’est parce qu’elle se prête à cet intérêt de l’homme qu’il apparaît comme masochiste
Mais le masochisme proprement pervers n’apparaît pas chez la femme. C’est ‘’ un privilège ‘’de l’homme
En ce qui concerne le fétichisme: Nous devons constater l’inexistence de cas chez les femmes dans la littérature psychanalytique. Reste à savoir ce que le fétichisme devient pour elle , à partir du moment où elle se situe comme l’homme dans la problématique phallique.
Avec FREUD, nous savons que la fille n’entre dans l’œdipe que parce que pour elle se pose d’avoir où non le phallus .Elle sait très vite néanmoins qu’elle ne l’a pas et veut l’avoir. Elle effectue dans son lien à sa mère un glissement entre pénis imaginaire, ce dont elle se sent frustrée ; et l’enfant comme phallus imaginaire, soit elle même en tant qu’elle se juge insuffisante comme phallus , pour satisfaire sa mère. Quelque chose la pousse donc vers l’œdipe sans risque de fixation au fétiche, contrairement au garçon.
Cette entrée dans l’œdipe, FREUD y a insisté ,est plus qu’un simple changement d’objet. C’est une " père – version " motivée par la répression maternelle de l’activité phallique.
Elle se tourne vers le père qui ne donnera rien de ce qu’il a. Dans le meilleurs des cas il donnera son amour. Il va donc la priver idéalement
LACAN dans subversion du sujet et dialectique du désir  : " Son désir à elle, elle en trouve le signifiant dans le corps de celui à qui s’adresse sa demande d’amour ".
En d’autre terme, elle trouve son fétiche dans le corps de l’homme.
Ce qui sera désiré ,inconsciemment, c’est ce qui peut se séparer de son corps de femme : un enfant lequel se substituant au phallus prendra valeur de signifiant.
On peut dire que cet enfant prendra pour une femme la valeur de fétiche .Et ceci en tant qu’objet postiche qui dément la castration.
Le fait que la femme trouve à se satisfaire naturellement dans la dialectique de la séparation expliquerait la moindre fréquence de la perversion chez elle.
C’est ce qui fait dire à LACAN dans ( subversion du sujet et dialectique du désir ) : " que le mâle est à considérer comme le sexe faible au regard de la perversion "
La perversion ne faisant qu’accentuer la fonction du désir en montrant la prééminence de l’objet a du fantasme.
LACAN , en situant la femme en tant que "  pas toute ", il l’exclue d’une quelconque possibilité de structurer son désir sur le mode pervers , puisque le a tombe de son côté .Il lui restera l’option de vivre un lien au désir de l’Autre où elle se prendrait pour son fétiche, ou bien appréhender son produit filial en tant qu’obturateur de sa jouissance supplémentaire, S ( A barré )
Le fétichisme qui concerne plus spécifiquement l’homme peut être vu comme un prototype dans la structure perverse. Il sera intéressant puisque nous allons voir maintenant quelques aspects thérapeutiques de travailler sur le fond fétichiste le la structure.
Le fétichisme représente comme un arrêt sur image qui fait accroc dans le symbolique ;Une sorte de pétrification du signifiant en l’objet. D’ailleurs dans son fantasme le fétichiste emploi toujours le même signifiant pour le désigner. Il est parfois répété pour parvenir à l’orgasme.
Il est un attrape regard. Un objet factice d’où l’origine du mot en portugais "  feitiço "
Lacan précise son caractère d’arrêt dans la chaîne signifiant. C’est en cela qu’il est métonymique. Poudre aux yeux, réalisation magique de l’idéal de toute puissance.

TRAITEMENT
Il est classique de dire que les sujets pervers viennent difficilement à l’analyse. Pourtant, il y a beaucoup d’écrits sur ce sujet, c’est à croire que les analystes écrivent à partir de leur propre savoir c’est à dire leurs fantasmes pervers de névrosés .L’acte analytique intéressant la levée du refoulement, il aura une moindre portée dans la perversion qui ne repose pas sur ce trait de structure.
Lacan a mis au premier plan le désir de l’analyste comme pivot du transfert et dans le cadre de la perversion la situation n’est pas simple car nul mieux que le pervers ne sollicite l’expression de ce désir de l’analyste. Le pervers est particulièrement attiré par la position du psychanalyste parce que la supposition de désir et l’effet d’angoisse qu’elle comporte conviennent à son impulsion à diviser l’autre. Le déni de leur dépendance archaïque à la fois de l’analyste et de la situation analytique les poussera à la mise en acte et à l’acting.
Ce qui permet l’installation d’une analyse c’est que le transfert se soutient de la supposition que l’analysant fait à son analyste de détenir le savoir qui répondrait à ses questions, et de fait l’analyste accepte de se prêter à une telle supposition. Ceci ne veut pas dire qu’il la valide en se présentant comme sachant, ni non plus qu’il puisse se contenter d’être un pur et simple ignorant.
Dans la perversion , la structure elle même impose à l’Autre une position particulière, ce qui installe d’emblée une limite au dispositif lui même.
Il ne parvient pas à formuler sa question au point où celle- ci se noue au sujet supposé savoir.
Il sait faire jouir l’ Autre. Il dispose d’un savoir sur la jouissance , un savoir faire qui cependant ne le soustrait pas entièrement au désir.
Le patient va tenter de convoquer l’analyste dans son manque pour qu’il dévoile sa jouissance inavouable . Le pari de l’analyse dans la direction de la cure sera d’ouvrir un point de conflit, de produire l’angoisse que suscite la question sur le désir, de détecter le moment où le désir se noue à la loi.
Le pervers peut venir chercher de nouvelles limites qu’il transgressera. Le fait qu’il vienne voir l’analyste pour jouir ( lui faire subir ce qu’il a failli subir) de lui ne constitue pas un obstacle. Le névrosé le fait aussi. Aucun analyste ne peut s’engager s’il n’accepte pas d’être dupe dans une certaine limite.
Le problème est que le désir est perverti, il n’est pas absent. Puisque le désir est du côté de l’autre , désirer c’est montrer un manque et offrir ce manque au manque de l’autre, c’est à dire , reconnaître la castration réciproque comme condition pour la traverser.
Je dirais que le travail avec ces patients se fait avec la référence de la structure perverse mais cela revient a travailler sur la composante névrotique plus accessible et sur les tendances positives enfouies sous les débris du savoir faire érotique .
Il me semble qu’il n’existe pas de perversion sans souffrance névrotique . On essaiera de s’appuyer sur le noyau de souffrance qui existe inéluctablement devant la contrainte de répétition lié à la fixité du fantasme.
Le sujet est forcément exténué par la contrainte de répétition où il se sent irrémédiablement poussé. Au terme de l’analyse on peut espérer un soulagement par rapport à cette contrainte pour retrouver la liberté de l’acte pervers
Pour qu’il y ait analyse, il faut un sujet qui souffre. Ceci pose le problème des injonctions de soins. A la différence du médecin, qui reçoit des plaintes l’analyste, lui, ne plaint pas, il ne plaint pas celui qui se plaint. Cette apathie du psychanalyste devant sa plainte , amène le patient à supposer qu’il puisse jouir selon une position sadienne.
Hors le psychanalyste n’est pas sensé jouir de la division de l’autre. C’est aussi pourquoi, le désir de l’analyste est sensé être averti de par la fin de sa propre analyse sur ce qu’il en est de son fantasme fondamental. L’analyste est celui qui supporte que son désir reste insatisfait à la différence du pervers.

BIBLIOGRAPHIE
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ROSARIO Vernon A. L’irrésistible ascension du pervers EPEL, (entre littérature et psychiatrie)

Ouvrages collectifs
Revue du Littoral n° 42, Eclat du fétiche
APERTURA vol 5, Perversion (1991)
Revue française de psychanalyse, L’affect et sa perversion
Grandes Découvertes Les perversions, Tchou, (les chemins de traverse)
Fondation du champ freudien,
Traits de perversion dans les structures cliniques Navarin (1990)
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